4262 - Sur la disposition des membres chez Leonardo da Vinci

N. Lygeros

L’un des paradoxes de la peinture figurative, c’est de rendre vivante la nature morte à travers la vivacité des couleurs et la dynamique du statique. Ce paradoxe ou plutôt sa réalisation et non sa résolution est un schéma mental cher à la pensée de Leonardo da Vinci. Une des techniques qu’il utilise pour le représenter c’est le choix de la disposition des membres de la personne dont il fait le portrait. Il ne se contente nullement d’une pose car elle n’a pas de sens pour lui. C’est ainsi qu’il utilise la storia afin de concevoir une entité cinématographique et non photographique comme nous l’écririons de nos jours. À travers le mouvement qu’il incruste dans son tableau, il donne vie à une beauté nécessaire pour rendre le naturel de la nature sans le dénaturer.

“Les membres et le corps doivent s’adapter avec grâce à l’action que tu veux faire faire à la figure; si tu veux qu’elle soit jolie, fais-lui les membres élégants et déliés, sans montrer trop de muscles; et le peu que tu feras montrer selon l’attitude, qu’ils soient doux, c’est-à-dire sans grand relief, sans ombres trop noires, et les membres, surtout les bras, doivent être libres, c’est-à-dire qu’aucun ne prolonge en ligne droite celui qu’il touche”.

Tout ceci est relativement classique, surtout à notre époque, mais ce n’était pas le cas auparavant surtout lorsque cela ne représente que la première partie d’un raisonnement sur la disposition des membres et dont la précision serait qualifiée de nos jours de scientifique.

“Et s’il se trouve, par suite de la station choisie, que des deux hanches, pôles du corps, la droite soit plus haute que la gauche, tu feras en sorte que la partie de l’épaule tombe exactement par dessus de la partie la plus éminente de la hanche, et que cette épaule droite soit plus basse que la gauche et que le creux de la gorge soit toujours juste par dessus du milieu de l’articulation du pied, qui porte le poids, et que la jambe ait son genou plus bas que l’autre, et tout près de l’autre jambe”.

Ce qui est tout à fait remarquable, dans cette série de conseils, c’est qu’elle ne concerne pas uniquement le visible, car Léonardo da Vinci accorde de l’importance à l’ensemble de la scène élaborée par le peintre et non pas uniquement à ce que voit le spectateur. Il s’attache de plus à la décomposition des mouvements selon les articulations humaines. Son discours sur le mouvement est articulé et voilà d’où provient son dynamisme.

“Concernant la disposition des membres, considère que si tu veux représenter quelqu’un qui pour une raison quelconque se trouve en arrière ou de côté, tu ne dois pas lui faire mouvoir les pieds, et tous les membres dans la direction où il tourne la tête, mais tu le montreras décomposant son mouvement selon les articulations…”

Et c’est à l’aide de ses règles que nous devons observer la Joconde afin de comprendre véritablement sa conception mentale de la scène.