50 - Analyse de : L’homme occulté. Le citoyen face au scientifique de Michel Schiff
N. Lygeros
Cette analyse doit son existence à la curiosité intellectuelle et à elle seule. Car la première partie de ce livre qui en possède deux est par son manque d’intérêt une souffrance pour le lecteur, même si celui-ci est bienveillant envers l’auteur. Evidemment il ne faut tout de même pas exagérer ; cette partie n’est pas totalement dépourvue d’idées seulement celles-ci forment incontestablement un ensemble de densité quasi-nulle. En effet, l’auteur engagé dans une critique, qui est selon moi fondée, contre l’aliénation de la médecine et de l’enseignement, a oublié à mon avis quelque chose de fondamental : une argumentation même si elle se veut exhaustive perd de son intérêt si elle est essentiellement conçue à l’aide de quantitatif. Autrement dit un tableau même s’il est informatif ne saurait se suffire à lui-même. Pour excuser la dureté de ces propos je ne peux me justifier qu’en disant que je fais partie de ceux qui “pensent que la psychologie en est encore au point où en était la médecine au temps de Molière”. Heureusement la fin de cette première partie est différente : elle annonce un changement de cap dans le périple de l’auteur. Son horizon n’est plus celui d’un être intelligent certes, mais inclus dans une immense masse sociale, et donc restreint – comme un cristal dans une géode -. Grâce à l’application pratique – phénomène très rare – de la théorie de Popper sur le falsifiable et l’utilisation de la parabole de Miller sur les sorcières de Salem, l’auteur prend du recul et sa réflexion porte alors non plus sur la société mais sur l’humanité.
La deuxième partie commence donc très fort – certainement trop fort pour quelques uns ! – par le chapitre sur la recherche . M. Schiff avoue humblement dès le début qu’il ne va pas aussi loin que Feyerabend qui propose selon lui une théorie anarchiste de la connaissance. L’aspect drôle de cette proposition est dû au fait que l’auteur commet une erreur qu’il reproche aux autres à propos du titre de son article : Génétique et Q.I. : de vieilles sornettes sous une forme à peine neuve, qui est devenu à la parution : Génétique et Q.I ! En effet ce que propose Feyerabend – dès son titre – n’est que l’esquisse d’une théorie, et quiconque par la nature même de cette idée, serait bien en peine d’en faire plus. Mais peu importe, après tout seule l’oeuvre compte, pas ce que l’on en dit. Car il s’agit bien d’une oeuvre bien que souterraine. L’auteur, tel une taupe, creuse de véritables galeries dans les profondeurs de l’âme – ce qu’il en reste – des chercheurs, mettant ainsi de la lumière dans un domaine inconnu et caché. Il analyse chaque maillon des contraintes que le chercheur s’est lui-même forgé, et qui le privent ainsi de toute liberté intellectuelle. On découvre ainsi qu’une nouvelle édition du célèbre livre de Monod ne comporterait plus en exergue une citation sur le mythe de Sisyphe mais sur celui de Prométhée !!
La perspicacité des affirmations de Schiff sur l’érudition, l’originalité et la paranoïa est effrayante. D’ailleurs comment pourrait-il en être autrement puisqu’il commence par cette phrase de Devereux : “Un innovateur étant parfois une personne difficile, la société s’arrange souvent pour le pénaliser de manière à ce qu’il soit à peu près impossible de prouver qu’il a été puni pour l’originalité de sa pensée plutôt que pour son comportement non conformiste…”, qu’il poursuit par une critique de l’argument qui stipule que la vérité finit toujours par triompher et finit en mettant en évidence le caractère intermédiaire que constitue l’anti-conformisme.
Une autre qualité de Schiff est d’avoir pris conscience de la nécessité de développer sa critique épistémologique de la psychologie en dehors du champ restreint des chercheurs, ainsi son démantèlement de toute méthode cartésienne en sciences humaines. Par contre c’est dommage qu’il n’ait pas étendu son analyse de l’utilisation du terme scientifique à l’ensemble de ce domaine et pas seulement en psychologie car je pense qu’ainsi il aurait dénoncé le fait que les sciences humaines n’ont de scientifique que le premier mot de leur appellation. Mais d’une certaine façon il ne s’agit là que d’un détail par rapport à la contribution humaniste que constitue le dernier chapitre du livre.
Comme il se doit, il débute avec l’aphorisme de Socrate. Ensuite il entreprend grâce à des anecdoctes pertinentes d’élucider méthodiquement ses comportements intellectuels prouvant ainsi qu’il a atteint un nouveau stade où l’optimisation des faits et gestes d’un homme est généralisée à l’ensemble de l’humanité qui est alors comme une entité complexe mais unique. Stade où le chercheur qui commence à se comprendre ressent la nécessité d’enseigner aux autres que la bonté et tout l’amour du monde sont, comme le disait Brel, au fond de soi. Schiff ornant l’Homme des citations d’Eisenberg, Alain, Helvetius et de Sénèque, le libérant ainsi du complexe de Prométhée “, réussit en lui montrant ses faiblesses à le défier.