Télégramme S. E. Carathéodory Pacha à S. A. le Grand VézirBerlin, le 28 Juin 1878 N° 59 Pour le chiffre Naouri | Je m’empresse de faire parvenir à V. A. le rapport suivant de Parnis Effendi qui vient d’avoir une entrevue avec Lord Beaconsfield après la séance du Congrès. Me trouvant aujourd’hui chez M. Mo** *Corny après la séance du Congrès Lord Beaconsfield m’a fait dire qu’il désirait me voir. A peine entré Sa Seigneurie m’a tenu le langage suivant sur un ton très franc et en me recomman- dant de le répéter à Son Excellence le Premier Plénipotentiaire afin qu’il le communique au Gouvernement Impérial : Je suis l’ami de la Turquie. L’Empire Ottoman était perdu en Europe. L’Angle- terre l’a sauvé en déclarant à la Russie qu’elle ferait un casus belli de la prise de Constantinople et en accompa- gnant cette déclaration de l’envoi de la flotte dans la mer de Marmara. L’Empire Ottoman était de nouveau perdu en Europe par le traité de San Stéfano. J’ai travaillé à assurer son existence et c’est dans ce but que je me suis personnellement rendu au Congrès de Berlin. Bien que l’on ait dit que l’Angleterre n’a pas fait grand-chose pour la Turquie je puis hautement proclamer qu’en rendant à la Turquie tout le territoire jusqu’aux Balkans et en lui laissant toute la latitude de fortifier ces montagnes | |
| comme elle l’entend j’ai assuré son existence en Europe et je lui fais avoir en même temps devant elle un certain nombre d’années suffisant pour s’y consolider et pour prospérer si elle est sage ; car on peut sans crainte prévoir qu’il faudra bien 25 années à la Russie pour pouvoir songer à faire une nouvelle guerre à la Turquie et d’autre part celle-ci n’a rien à craindre de l’Autriche Hongrie dont le gouvernement est éminemment conservateur. Le but que je m’étais proposé a été atteint et je crois avoir assuré l’avenir de la Turquie en la rendant réunie et compacte. Mais pour atteindre ce but j’ai fait savoir au Gouvernement Ottoman tant par la bouche de notre Ambassadeur que par celle des Plénipotentiaires ottomans au Congrès qu’il fallait s’entendre avec l’Autriche Hongrie pour l’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine, cette occupation étant indispensable au rétablissement de l’ordre et de la sécurité publique dans ces contrées. Malheureusement le Gouvernement ottoman a préféré prêté oreille aux sottes insinuations des sottes de Constantinople plutôt que suivre mon conseil. Et bien qu’Elle en a été la conséquence ? La voici : L’Europe a décidé que cette occupation doit avoir lieu en dépit du Gouvernement ottoman ; cette décision est irrévocable et j’aime à espérer que la Porte renoncera | |
| à toute opposition à la décision du Congrès d’autant plus que la résistance du gouvernement Impérial n’empêcherait pas l’exécution de cette mesure et ne servirait qu’à faire du scandale et à discréditer S. M. S. le Sultan. Lord Beaconsfield a ajouté que l’occupa- tion de la Bosnie et de l’Herzegovine ne signifie pas la perte de ces deux Provinces. L’Autriche a-t-il dit a plusieurs fois occupé les Principautés Danubiennes et Elle en est sortie. Pourquoi n’en serait-il pas de même en Bosnie et en Herzegovi- ne ? Lord Beaconsfield a terminé en répétant qu’il avait fait tout en son pouvoir pour que l’occupation dont il s’agit ne fût pas imposée à la Turquie et que même maintenant il ne saurait trop recommander au gouvernement Impérial de se désister de toute opposition velléitaire dont les conséquences ne pourraient qu’être à son désavantage. Ayant demandé à sa Seigneurie si l’occupation en question était temporaire Elle m’a répondu que la demande de l’Autriche était d’occuper les deux Provinces et qu’il ne voyait rien dans cette demande qui pût empêcher la Porte de réclamer la cessation de l’occupation, une fois l’ordre rétabli dans ces Provinces. | |
| Dans le cours de la conversation Lord Beaconsfield m’a dit qu’ayant à cœur les vrais intérêts de la Turquie, il continuerait à les défendre au Congrès dans la mesure du possible jusqu’au bout et qu’en ce moment même il s’efforce de sauver Batoum des Russes bien qu’il ne puisse s’y engager formellement vis-à-vis du Gouvernement Impérial. | |