Télégramme S. E. Carathéodory Pacha à S. A. le Grand Vézir Constantinople Berlin, le 2 Juillet 1878 N°79Pour le chiffre H.Odian | Je m’empresse de répondre immé- diatement à la dépêche de V. A. en date d’hier n°58. Mes nom- breuses dépêches doivent avoir mis V. A. au courant des idées qui ont guidé le Congrès dans sa décision concernant Varna comme dans toutes les autres. Le but unique du Congrès était d’éviter la guerre qui menaçait d’éclater entre l’Angleterre et la Russie et d’en venir à un arran- gement qui assurât la paix à l’Europe. C’est dans ce sens qu’on convint de discuter le traité de S. Stéfano en Congrès. Avant de s’y rendre la Russie et l’Angleterre arrêtèrent leurs vues respec- tives dans le Mémorandum de Londres. Tout fait supposer qu’un arrangement analogue existe pour l’Autriche aussi. Quant à l’ Allemagne, elle se réserva en fait la position d’arbitre entre les trois grandes puissances pour résoudre les | |
| difficultés qui pourraient se présenter. Plus tard Bismarc convint avec la France et l’Italie qu’on opposerait leur véto réuni à celle des puissances plus directement intéressées qui voudrait faire prévaloir ses propres intérêts sur les intérêts généraux. D’après ces principes la Turquie qui avait signé le traité de S. Stéfano ne devait bénéficier qu’autant que ses demandes de modification du traité ne seraient pas en opposition avec les points arrêtés par les grandes puissances entre elles. J’arrive maintenant à la question de Varna ; Le Mémorandum de Londres ayant pris pour base de sé- paration la ligne des Balcans, Varna était déjà perdu pour nous avant la réunion du Congrès. À notre arrivée ici nous fîmes tout notre possible pour persuader les Anglais de tenir ferme | |
| pour Varna. C’est grâce à cette opposition que l’ arrangement entre les Anglais et les Russes fut retardé jusqu’à la 4ième séance. Mais dans l’intervalle les Anglais cédèrent, les Russes ayant fait de l’affaire de Varna une condition sine qua non, et en compensation ils obtinrent que les bassins de Mesta et de Kara sou ne feraient pas partie de la province de la Roumélie orientale. Lorsque ce projet fut pré- senté au Congrès, nous deman- dâmes à le discuter. Mais V. A. connaît comment on ne nous laissa pas parler. On nous fit clairement entendre que la Turquie ayant signé le traité de San Stéfano, elle ne pouvait élever la voix contre des arrangemens Européens qui au fond lui rendaient des provinces, et que les grandes puissances étant tombées d’accord sur la question de Varna la Turquie en s’y opposant aurait fait preuve de | |
| vouloir entraver l’œuvre du Congrès. Je n’ajoute pas d’ autres détails car je m’en rapporte à mes précédentes dépêches. En résumé, l’affaire de Varna fut résolue contre nous parce que le Con- grès sur cette question qu’il considéra comme une question de grand intérêt Européen ne voulut même prendre en considération aucun argument ethnologique, statis- tique ou autre et parce que l’arrangement des Anglais é- tant conclu toutes les puissances y ont adhéré sans discussion. L’argument tiré des bases de la paix ne peut avoir une valeur réelle puisqu’il y est dit que la Bul- garie comprendra comme mi- nimum les territoires indiqués par la Conférence. Mais quand même il aurait quelque valeur théorique il n’en aurait en aucune valeur pratique les Anglais, les seuls qui pouvaient s’opposer à la cession de Varna | |
| s’étant mis parfaitement d’accord avec les Russes sur ce point. Nos ambassadeurs à Londres et à Vienne m’avaient écrit qu’ils espéraient faire quelque chose pour la conservation du quadrilatère. La réponse que j’ai reçu des Anglais et des Autrichiens sur ce point toutes les fois que je voulus y toucher c’est que je ferais bien de m’en tenir à ce que les premiers Ministres d’Angleterre et d’Autriche me disaient ici, et que de pareilles propositions n’ avaient aucune valeur ni à leurs yeux ni aux yeux des Gts qu’ils représentaient. | |