550 - Des contraintes du livret à l’essence de l’opéra
N. Lygeros
A notre époque, l’écriture d’un livret d’opéra peut sembler quelque peu inopportune. Seulement ce serait sans compter son influence indirecte via les comédies musicales. Celles-ci ne sont effectivement qu’une forme simplifiée, certains diront sans doute dégénérée mais cela n’est pas notre propos ici, des anciens livrets. L’évolution de la technique du son permettant de palier aux faiblesses des voix, l’accélération du rythme permettant un travail moindre dans la technique de l’écriture, il n’en demeure pas moins que l’essence est la même. En réalité la seule véritable différence est d’ordre temporel.
Nous voyons les opéras comme des formes classiques car nous oublions leur processus d’élaboration. Les opéras de l’époque suivaient les mêmes règles que les comédies musicales actuelles. Leur premier but étaient avant tout le succès. Ensuite le temps faisant son travail. Aussi les opéras restés ne sont que ceux qui ont été filtrés. Par contre, il est vrai que ces derniers possèdent dans leur structure un matériau de base d’une qualité incomparable.
Les contraintes imposées par la voix humaine et sa combinaison avec les instruments de musique représentent une véritable difficulté pour le librettiste. Il doit concentrer l’essentiel de son discours dans très peu de mots. Alors lorsque cela est réussi chaque phrase du livret est un monde et son interprétation est nécessairement polymorphe. Ainsi chaque écoute est un enrichissement pour l’auditeur car il pénètre de plus en plus dans l’oeuvre originale qui ne se contente pas de plaire à un public mais tout simplement d’exister.
Bien sûr certains s’attacheront aux aspects techniques du livret. Son utilisation des alitérations, des assonances, de la rime, du champ lexical, en somme de l’aspect rhétorique du langage humain. Seulement tout cela n’est qu’une étape superficielle que le temps se charge d’épurer pour faire apparaître dans toute sa clarté la puissance du texte. Il est vrai que certains livrets ne peuvent passer ce cap car ils n’ont pas été conçus pour cela. D’autres pourtant ressortent victorieux de ce défi temporel et offrent en don aux auditeurs du futur le patrimoine du passé. Ils sont chargés d’une histoire si essentielle qu’elle atteint parfois le stade du mythe. Car les véritables textes n’utilisent pas un mythe pour vivre mais en vivant ils créent un mythe.
Ainsi les contraintes poétiques du livret lui permettent de traverser le temps et de prendre son élan diachronique afin d’atteindre la notion de mythe. Dans ce cas le public du présent n’est qu’un paramètre parmi d’autre quant à l’évolution de l’oeuvre gobale. Aussi, si le compositeur est capable non seulement de saisir l’essence du librettiste mais de transcender à travers sa musique sans se préoccuper des opinions confuses et contradictoires des critiques de pacotille alors l’oeuvre aura au moins la possibilité d’être avant d’avoir été. Les touches essentielles du langage une fois mises en musique sont pour ainsi dire sculptées dans la matière sonore. Il ne s’agit plus d’un amalgame comme c’est bien souvent le cas mais d’une véritable réalisation.
En réalité, le livret lorsqu’il est mis en musique subit une résurrection. Car fait pour cela, il n’est rien sans cela. Offert en don au compositeur il ne peut être véritablement sans l’accord de ce dernier. Ainsi les contraintes du livret sans l’apport du musicien ne peuvent atteindre l’essence de l’opéra et s’évanouissent dans les abîmes textuelles. Seulement sans elles, l’oeuvre finale ne pourrait atteindre les sommets de son art. Car il s’agit bien d’art même si le matériau ne peut être que l’homme et ses affres.