558 - Sur l’influence de la pensée sur la pensée

N. Lygeros

Autant il est aisé de percevoir l’impact d’une invention même relativement modeste sur l’ensemble du l’humanité, autant celui d’une pensée n’est perceptible que grâce à une étude particulière. Il faut dire que dès le début, cette dernière étant plus abstraite par nature, n’évolue pas dans le même champ. Son influence plus diffuse n’est pour ainsi dire jamais visible explicitement. Seulement il faut bien se rendre compte du fait qu’en modifiant le milieu cognitif et plus généralement la mentalité d’une époque, les idées permettent indirectement d’engendrer a posteriori et par condensation de leur diffusion, des impacts localisés et perceptibles. En transformant le cadre, elles génèrent l’impact. Ce comportement est semblable à celui d’un gaz qui pénètre dans une pièce. Rien n’est visible et pourtant tout est changé. Ainsi une simple étincelle suffit à produire l’impact alors qu’un feu n’aurait pas les mêmes répercussions.

Les idées agissent sur le milieu de manière essentiellement catalytiques. Sans prendre jamais une part directe à l’action, elles sont l’instigatrice de celle-ci. Ainsi, en stratégie, nous connaissons bien l’influence d’une doctrine et d’un dogme sur la vision d’un adversaire. Il possède les mêmes données cependant comme elles sont interprétées dans un cadre qui peut-être totalement différent, leur nature est aliénée. Il ne faudrait pas croire pour autant que cela ne survienne que de manière négative. Et l’expression ”c’était dans l’air du temps” est là pour le témoigner. Sinon comment expliquer les coïncidences répétées de découvertes quasimment simultannées par des individus travaillant en totale indépendance. Seulement, après coup, nous voyons que ces individus étaient plongés dans le même cadre conceptuel.

Ainsi la découverte vue comme une singularité, pour être comprise, doit être interprétée dans un cadre qui a été influencé par la pensée. En somme l’action diffuse de la pensée est l’élément le plus fondamental dans le sens où elle crée une situation irréversible. Alors que le moment précis de la découverte doit être vu comme un événement inexorable. Comme dans l’expérience de la diffraction, l’important n’est pas le point d’impact sur la coque hémisphérique mais l’introduction de la particule dans le champ. Une manière plus abrupte d’exprimer cela serait de dire que l’évolution précède la révolution, à l’instar du siècle des lumières qui préceda la révolution. Nous savons tous désormais que sans le siècle des lumières, il n’y aurait pas eu de révolution telle que nous l’avons connue. Alors que la révolution était inexorable. Aussi l’importance sur le plan cognitif, n’est pas quel jour elle a eu lieu mais pourquoi. Sachant la réponse, la question devient alors comment le siècle des lumières modifia l’époque.

Cette fois, la problématique est véritablement posée et nous devons admettre l’importance de l’influence de la pensée sur la pensée. Mais alors une autre question apparaît : quel autre processus serait capable de produire cet effet ? Nous pouvons répondre trivialement qu’une autre révolution pourrait en engendrer une mais ce serait fallacieux car si c’était de manière directe ce serait la même et si c’était de manière indirecte alors il y aurait une phase évolutive qui représenterait le même processus de diffusion de la pensée.

Ainsi l’influence de la pensée sur la pensée apparaît comme un processus générique, dans la production d’impacts sur l’humanité et c’est en cela qu’elle mérite d’être étudiée plus profondément. Car elle est la source génératrice des futurs impacts. Elle est le passé des réalisations futures. Sans être révolutionnaire en soi, elle est l’essence de la révolution. Elle est le noyau qui évolue imperceptiblement jusqu’à atteindre sa masse critique. Aussi son évolution doit être étudiée non comme une simple élaboration d’un nouveau processus mais comme une pré-révolution.