5799 - Johan Leysen dans le rôle de Wittgenstein
Ν. Lygeros
Johan Leysen dans le rôle de Wittgenstein est magnifique. Il effectue un travail admirable dans cette pièce solitaire de Peter Verburgt Wittgenstein Incorporated. Il est seul mais multiple. Une véritable singularité dans l’espace temporel. À la manière de Ludwig, il pense tout haut : « Je me souviens d’un général autrichien grièvement blessé qui, un jour, nous promit de penser à nous après sa mort… » Il s’arrache lui aussi le texte de sa tête à la façon du philosophe quant à sa pensée. Il ne joue pas. Il ne fait pas semblant, il répète, non pas comme un acteur mais comme Socrate qui répondait lorsque ses ennemis l’accusaient de dire toujours la même chose, qu’il disait toujours la même chose et de la même façon. Tout cela pour nous faire pénétrer dans l’Univers de Ludwig Wittgenstein in vivo. Sa narration n’est pas sans rappeler la phrase de l’auteur des Remarques mêlées « chacune des phrases que j’écris tente de dire le tout, c’est-à-dire la même chose, encore et encore ; c’est comme si ces phrases n’étaient toutes que des points de vue sur un objet à partir d’angles différents ». Johan Leysen ne nous convie pas à le rejoindre dans son monde. Il effectue directement un plongement, une immersion et même un plongeon pour ne pas oublier la remarque de Socrate sur Héraclite. Dans son décor sommaire, une chaise inutile et un fauteuil posé sur un parquet géométrique, juste devant un mur unique Johan Leysen, nous permet d’entrevoir Ludwig Wittgenstein à l’œuvre. Il marche posément comme dans un jeu de langage et ne cesse de réfléchir en s’appuyant sur ses mains et sa pensée. Ce n’est pas une pantomime mais un hommage, un hommage à la pensée d’un homme qui est allé jusqu’au bout de sa logique pour découvrir la réalité sans forcément atteindre la certitude. D’ailleurs quelle certitude pourrait posséder un acteur. Ses gestes, ses pas sont eux aussi une pensée à ciel ouvert. Il donne de sa personne, dans un échange avec le public sans être certain d’atteindre son but. Il se sacrifie sur le devant de la scène mais en silence comme le tableau de Guernica. Cela n’en est pas moins terrible, non pas en raison d’un dogmatisme quelconque, mais de la souffrance à arracher les mots d’un texte qui ne se compromet pas, pour rien au monde. Il s’arrache à nous faire vivre non pas l’impensable mais l’impensé. Peu à peu, dans un crescendo conceptuel, à travers trois cours qui ne concernent pas seulement la vie de la philosophie mais aussi la philosophie de la vie Johan Leysen parvient au sommet de son art en transcendant le génie de la pièce dans la pièce du génie universel. |