6142 - Transcription de la lettre 5 de Paul Faure. (16/08/1993)

N. Lygeros

Paul FAURE Le Samedi 9 Octobre 1993

Monsieur et cher chercheur
Récemment revenu de Crète, je trouve de vous trois courriers
qui méritent de ma part des excuses et des remerciements, mais aussi
et surtout un essai de réponse.
Pour ce qi est de la tablette inscrite de Pylos, Tn 316, laquelle a fait
couler des flots d’encre depuis 1954 (après J. – C.), le mieux est de se référer
à l’édition majeure d’Emmett L. Bennett, Jr and Jean-Pierre Olivier,
« The Pylos Tablets Transcibed, Part I : Texts ans Notes », Roma,
Edizioni dell’ Ateneo, 1973, p. 233-236. Depuis cette date, E. Bennett a
dit plaisamment à un Congrès qu’entre les deux parties de sa rédaction
le scribe avait dû, pu, se restaurer copieusement. Vous vérifierez que
s’il a prévu six paragraphes intitulés Pu-ro (« envois du Palais de Pylos »,
cf. li Ht « la Sublime Porte » ou, en égyptien « Per Ao », la Grde Porte, dont les Grecs ont
fui Pharaō), le chiffre moyen des divinités concernées dans les quatre
paragraphes remplis est 4, ce qui est réalisé dans le 4e et impliqué
dans le 5e, où une ligne (la 11e) était tracée pour porter le mot Pu-ro. – La ligne
6 et la ligne 12, laissées vides, marquaient des séparations avant des groupes de quatre divinités à inscrire de 7 à 10 et de 13 à 16.
On sait, en outre, que les peuples indo-européens de l’Âge du Bronze
vénéraient 12 divinités majeures, soit qu’elles aient correspondu
aux 12 mois de l’année, soit qu’elles aient patronné les quatre fonctions
essentielles de la société (prêtres, guerriers, producteurs, artisans) ayant
chacune leur triade divine ou leur Trinité (ex : pour la 1ère caste : Varuna,
Mitra, Aryaman) : 3 fois quatre = 12. Les 12 lignes laissées vides peuvent
très bien avoir été réservées à des divinités mineures, locales, indigènes,
souterraines ou simplement ineffables. – Evidemment, ce texte palimpseste
avec ses repentirs, ses oublis (ex : verso, l.5 : a au lieu de a) et son désordre
témoigne d’un affolement ou d’une déraison qui n’ont rien de
mathématique. Mais je persiste à penser que le grand mérite des
Grecs est d’avoir su trouver, avec les nombres irrationnels, les
limites de la raison.
Faire un dictionnaire à la Bailly pour le linéaire B, et même
pour le linéaire A ? C’est chose faite, et plusieurs fois. Le meilleur

Mycenaean Glossary reste encore, à mes yeux, celui que vous
trouverez entre les pages 527 et 594 des
Documents in Mycenaean Greek, Second Edition, de John Chadwick
Cambridge University Press, 1973. Pour le linéaire A, voyez, en dernier
lieu, le tome V du Recueil des Inscriptions en Linéaire A (sigle GORILA)
publié par Louis Godart et J.-P. Olivier, Ecole Françaised’Athènes,
Etudes Crétoises, XXI, 5, 1985. Cet ouvrage et les 4 tomes précédents, figure
certainement dans une des bibliothèques universitaires de Lyon, ou
à la Maison de l’Orient : v. le professeur O. Pelon.
Pour ce qui est des prétendus signes de la Vieille Europe, chers
à Maria Gimbutas et à ses disciples, ce sont peut-être des essais d’écri-
ture ou simplement d’éléments de décoration ± géométriques, mais dont
le sens nous échappe parce que 1°) leur emploi s’étale sur 4 millénaires
au moins ; 2°) ils ne constituent pas un système cohérent, qu’ils soient
isolés ou non ; 3°) on les retrouve dans toutes les parties du monde
dès que l’artisanat apparaît : ils ressemblent essentiellement aux
marques de potier ou aux marques de maçon qui n’ont qu’une valeur
de symboles ou de repères ; 4°) il est certain que le linéaire A de Crète,
apparu vers 1700 avt J. – C.dérive des idéogrammes crétois antérieurs et qui
procèdent d’un système acrophonique proto-grec de l’Âge du Bronze, et
non d’une langue inconnue parlée à l’âge de la pierre polie ; 5°) voyez
ce qui se passe chez les céramistes de l’époque dite géométrique, en Grèce,
et chez les tapissiers des époques islamiques qui interdisent de représenter
le visage humain : ils alignent des formes géométriques simples, le plus
souvent angulaires car ils sont plus faciles à tracer.
Une des raisons qui me font soutenir le caractère i. e., voire
protohellénique, des caractères du linéaire A, c’est que parmi les
signes gravés sur les lingots de bronze d’Agia Triada (XVe S. av. J. – C.), il
en est un, celui-ci : , qui ressemble extrêmement au signe 90/91 des textes
en écriture linéaire B , lequel se lit two, c. à d. « deux ». Si vous ajoutez
à cela qu’une inscription en linéaire A d’un pithos de Zakro contemporain
se lit : « VIN : 32 mesures … atanowo/deka… », c’est-à-dire : « 10 en sacrifice… », vous
admettrez sans doute que les Minoens de ce temps-là ne parlaient
ni une langue sémitique, ni une langue ouralo-altaïque, mais une langue
proche du grec que nous aimons, vous comme moi.

O δικός Σας

Παύλος Φοράκης