621 - Le maître et la pierre
N. Lygeros
Le disciple ne savait pas quel était le but de leur visite. Cette île lui était totalement inconnue alors qu’elle semblait familière pour son maître. Il avait le sentiment qu’une histoire s’était écrite dans le passé et que son maître y avait participé. Pourtant ce dernier n’avait jamais rien mentionné à ce sujet. Le passé était silencieux pour les non-initiés. Telle fut la pensée du disciple. Son maître marchait dans le silence avec l’assurance d’un guerrier qui avait livré bataille et qui malgré les blessures avait conservé sa vie. Le disciple s’interrogeait lorsque le maître lui annonça qu’il était trop tôt. Sans connaissance du problème, nul besoin de chercher la solution. Tout est dans le problème, même la solution. Le disciple acquiesça. Il se rappela qu’il avait déjà eu le sentiment que son maître lisait ses pensées. Le maître se pencha comme l’arbre de la compassion. Il avait reconnu l’objet de sa mission. L’attente avait duré des siècles. Le maître et la pierre le savaient. Cependant cela était sans importance, l’essentiel était dans la rencontre. La pierre était si lisse et si douce qu’elle semblait être un galet de rivière. Ce n’était pas un galet mais le maître connaissait la rivière invisible. L’océan de sagesse ramassa la pierre séculaire et la montra au disciple en tendant sa paume.
Il lui demanda ce qu’il voyait. Le disciple avait cherché la solution du problème qu’il ne connaissait pas et à présent qu’il avait enfin le problème devant lui, il ne savait que faire pour trouver la solution. Il tenta de décrire la pierre en oubliant que nous ne voyons que ce que nous comprenons. Alors le maître lui expliqua que la forme provenait du fond. Cette pierre, c’était la compassion. Elle avait livré de nombreuses batailles contre l’injustice du hasard et elle était devenue nécessité. Les blessures l’avaient rendue douce au toucher. Elle était lisse pour ne pas blesser les hommes. Le monstre, le cailloux difforme avait la rondeur du bouddha : blessé pour avoir aimé, aimant sans blesser.
Tel était l’enseignement du maître et de la pierre.