6247 - Transcription de la lettre 19 de Paul Faure. (06/12/1994)

N. Lygeros

Paris, le 6 Décembre 1994
Fête de saint Nicolas, Χρόνια πολλά !
Cher Nik (holà !)
Ne m’en veuillez pas, je vous prie, de répondre si mal et si tard
à votre longue lettre – ou rapport – du 25 Novembre : les ans, la fatigue et les
préoccupations en sont les causes. Essayons seulement d’être bref.
Je n’ai sous les yeux que les p. 50 à 65 du Dossier d’Archéologie n°195 (Août 1994) que
m’a envoyées J. – P. Olivier, et les 2 premiers tomes du Corpus des inscriptions de Knos-
sos (CoMIK). Donc, sur le reste, je ne vous réponds qu’avec peine et au hasard.
p. 21 Evidemment, la Sardaigne était fréquentée par les navires grecs
depuisl’Age du bronze moyen, en raison de ses mines et de ses ressources en
poissons
, rac. Hellenique ou méditerranéenne *sar – Rien à voir avec
le nom de la ville de Sardes, Sfardi en lydien, Išparda en élamite, Sparda en vx perse.
Le rire sardonique est celui de la raie ou du requin !
p. 29 Le pouvoir politique mycénien me paraît avoir été, comme celui de
Sparte-Lacédémone plus tard, une double monarchie, d’origine théocratique.
p. 40 la 3e l. de PY Ta 711 se lit : qe-ra-na, wa-na-se-wi-ja, ku-na-ja, qo-u-ka-ra,
to-qi-de-we-sa vas 1 .. Le 9e signe est ku, et non pas ImoI
On considère généralement que = pu et =phu
p. 41 la 4e ligne de PY Un se lit : FAR1T2 OLIV3T2 *132 S2 ME S1, où T
est un signe conventionnel représentant le dizième de l’unité majeure de
la mesure qui est le πίθος (en myc., le qe-to). T équivaut donc à 12 litres (ou a
9l, 6 si l’on imagine que le qe-to contenait 96 l. On en discute toujours).
p 43 KN Lc 525, revu dans le CoMIKt1, p 190, incontestablement se-to-i-ja…
Il s’agit d’une bourgade voisine de Knosos, qqch. comme Σεστος ou Σησ-
τος, sans aucun rapport avec la Σιτεία crétoise actuelle (antique Ητεία).
p.44 Le *lawagétas mycénien est le chef de la troupe, le général en chef, le « duc ».
p. 45 e-to-ni-jo n’a rein à voir avec « suivants » ni avec « compagnons ». C’est
un type de tenure à ferme, probablement annuel (το ἔτος).
p. 52 On appelle sonantes les ½ voyelles w et y, consonnes *m, *n, *r, *l ; elles n’ont pas à être
notées en fin de syllabe, en lin. B. C’est en égyptien et p. ê. aussi en
lin. A qu’à l’intérieur des mots on leur suppose une voyelle d’appui
IeI quand on ne sait comment vocaliser les consonnes.
p. 57 Pas question de cornes pour ces 40 OVISm de Dd 1468. Il s’agit simplement
de « moutons », c’est-à-dire d’anciens béliers, que l’on suppose châtrés, parce
la vie serait intenable si on laissait tant de mâles avec 52 femelles.

p. 79 Les cultes de sommet ont continué à l’époque mycénienne. Ex. Ζεύς Δικταίος
et envoi d’offrandes « di-ka-ta-de », c-à-d. au sommet du mont Diktè (= le Iouktas,
Διός ὂχθος), in KNFp 7, F866, etc : di-ka-ta-de = diktan-de ; et encore KNFp1,
l. 2 : di-ka-ta-jo/di-we (Δικταίῳ *Διϝει). Le peuple en Crète n’a jamais abandonné
les hauts lieux où souffle l’Esprit.
p. 102 Je ne connais pas par cœur les 20 ( ?) noms de métier du Mycénien B, et je
n’ai pas le temps de les chercher. Mais je cite, au hasard : i-jate (ἰητήρ, Il. Ii, 732),
i-je-reu, ka-ke-u (χαλκεύς), ka-na-pe-u (γναφεύς), ke-ra-me-u (κεραμεύς), na-u-do-mo
(constructeur naval), to-ko-do-mo (bâtisseur), to-ko-so-wo-ko (= τοξοποιός).
p. 103 Rassurez-vous : si le linéaire B paraît fait pour noter une langue non-
grecque, le linéaire A note une langue indo-européenne, le minoen, proche
de l’arcado-chypriote ancien, une sorte de proto-hellénique.
p. 127 L’alphabet grec (avec la notation originale de ses 5 ou 6 voyelles) n’a
pas pu être inventé « dans le but avoué d’enregistrer les poèmes épiques »…
car ceux-ci, vers -775, n’existaient pas ! Selon toute probabilité, il a été inven-
té à Smyrne, Colophon, ou plutôt *Milot, places de commerce, pour des raisons
commerciales. Personnellement, je pencherais plutôt pour un port crétois
en relations étroites, constantes (et proches !) avec la Phénicie : Itanos, Silia,
Khersonesos, Amnisos, Hérakleio, Allaria (= Stavromenos Rhethymnis), Minoa de la Sude
(face à Aptara), Κυδωνία (= La Canée).
p. 128 Aucune preuve que l’hexamètre épique ait été emprunté aux Minoens,
à moins que l’on ne prouve un jour que le disque de Phaistos (XVIIe s. av. J. – C.)
ne contienne un hymne ou un poème sur ce rythme. Et d’autre part, je
soutiens que les Minoens écrivaient et parlaient une langue indo-européenne et
je crois, comme vous, qu’ils pouvaient emprunter à d’autres leurs musiques
et leurs danses : leurs successeurs actuels empruntent tout aux touristes !
Ne vous étonnez pas, pour finir, que je n’aie pas participé à la
rédaction de ce numéro des Dossiers : les « savants » officiels me prennent
pour un amateur (« chronologie souvent approximative quand elle n’est pas complète-
ment fantasque ; ses théories sont souvent bizarres », écrit mon [ami] L. Godart, dans
un livre récent, Rome, 1992, revu et « amendé » par deux collègues parisiens !) En
outre, je participe à des revues plus scrupuleuses, dans toute l’Europe, ce
qui m’accable de travail et de soucis, et de fatigue. Vous aurez donc
la gentillesse de ne pas me questionner avant l’année prochaine, par un mot
à Cannes-La Bocca où je pars bientôt. Ne téléphonez pas non plus.
D’ici là, je vous souhaite de passer d’heureuses fêtes du jour de Noël
et de l’an nouveau, en santé et en joie.
Crétoisement et courtoisement
Votre PF