79 - La beauté de la résistance

N. Lygeros

Il est difficile d’analyser la persistance du sentiment d’être grec. En tout cas, c’est un fait établi puisque des générations entières, malgré une occupation écrasante, ont conservé ce précieux sentiment. D’autant plus que certaines personnes n’ont jamais vécu sur le sol de la Grèce actuelle. Comme si ce sentiment était indépendant du contexte géographique, soutenu uniquement par deux piliers tout à fait caractéristiques : la langue et la mémoire. Deux entités a priori abstraites et pourtant, en Grèce, si populaires. Le peuple les aime car elles représentent des richesses de pauvre à l’instar du soleil, du ciel et de la mer ; les éléments fondamentaux de la poésie grecque.

Plus j’étudie la mémoire populaire et plus je la vois comme une trace de la douleur. Cet aspect est encore plus explicite par le fait que nombre de nos souvenirs et de nos chants sont des mémoires de défaites et non de victoires. Il ne s’agit ni d’éloges ni de gloires mais seulement d’apologies de la souffrance. Nos batailles ne sont pas des conquêtes mais des résistances.

Chez nous la légende naît de la tristesse. Nos hymnes les plus beaux sont essentiellement des thrènes, des lamentations. Et plus la tristesse est grande, plus la légende est belle. Voilà pourquoi nous possédons quelques unes des plus belles légendes du monde.

Bien sûr, au premier regard, cela peut sembler naïf comme comportement mais après tout la pureté provient de la simplicité. Bien sûr qu’il y a une certaine inconscience à embrasser autant de causes perdues, mais c’est plus fort que nous ; c’est notre nature. Comme disait le maître : on peut faire ce que l’on veut mais on ne peut pas vouloir ce que l’on veut. Ainsi notre histoire est remplie de sacrifices et de patries perdues.

Le sort de la Grèce doit beaucoup aux grandes puissances cependant elle ne doit à personne sa grandeur. Celle-ci n’est due qu’à sa résistance si souvent qualifié d’héroïque par les étrangers qui nous exploitent comme un joueur exploite son jeu et sacrifie des pièces pour le gagner. Mais pourquoi devrions-nous toujours être un pion sur l’échiquier mondial ? Après tout, pourquoi resterions-nous esclaves de notre sort ? Est-ce une utopie pour un grec d’être maître de son destin ?

Peu importe notre choix de l’instant, celui de notre peuple a toujours été la résistance. Alors soyons dignes de lui à travers notre langue et notre mémoire.