88 - Une herméneutique de la poésie grecque

N. Lygeros

En Grèce, la poésie est une création. Une création qui n’a rien d’un art mineur. Une création qui semble être la plus belle expression de la pensée et des sentiments.

Initialement, la poésie représente une résistance au temps car le vers, de par sa structure, s’ancre dans la mémoire des hommes. Ainsi la poésie a naturellement engendré la tradition. La poésie est une sorte d’ambre qui conserve les mots fossiles ; une diachronie intrinsèque. Elle permet aux hommes de lire le temps. Elle a ainsi contribué à la naissance du sentiment de grécité car elle fut durant des siècles l’unique moyen du peuple grec pour sauver son histoire de l’oubli.

Dans notre culture la qualité principale de la poésie n’est pas tant d’être savante mais d’être populaire. Le poète en tant que singularité de l’espace des mots participe de par sa généricité à l’universalité de la culture grecque.

Par ailleurs le poète ne cherche pas à tout prix l’inaccessibilité littéraire car écrire n’est pas un luxe que lui procure la société mais une nécessité de l’existence ; une nécessité populaire…

Bιζυηνός décrit très bien la tradition du thrène. Son exemple est celui d’une femme qui veut penser à son mari défunt. Elle demande alors à un chanteur de rue de lui composer un mirologue et c’est seulement après avoir appris à le chanter, pour le transmettre par la suite à ses enfants, qu’elle le rétribue. Il en est de même pour le poète grec : son peuple lui commande un texte et ne le remercie que lorsqu’il sait le chanter. Voilà pourquoi nos grands poètes Σολωμός , Παλαμάς , Pίτσος , Σεφέρης et Eλύτης ont été mis en musique.

En Grèce, la chanson n’est pas la poésie du peuple, elle est la réalisation du concept. La poésie est constituée d’une matière abstraite, théorique qui ne peut réellement exister dans le monde que par la musique. La poésie est l’idée, la chanson sa réalité.

Ainsi notre poésie permet à l’intellectuel de créer du réel ; un réel juste et diachronique. Le langage étant l’expression la plus fidèle de la pensée, grâce à lui nous pouvons penser le passé. Car chez nous la matière à penser est plus ancienne que le bronze.