903 - Sur le caractère expérimental de l’informatique
N. Lygeros
Si nous suivons la lignée des penseurs G. Leibniz, K. Gödel, H. Weyl, A. Turing, I. Lakatos et G. Chaitin, il est impressionnant de constater la puissance de la présence de l’expérimental dans le domaine de la théorie. Contrairement à ce que penserait le mathématicien ou l’informaticien classique le dogme de la raison absolue semble réduit à néant via leurs travaux. Bien sûr, la vision classique des choses se sent à l’abri de tout cela comme s’il s’agissait d’expériences extrinsèques alors que c’est bien le fondement du dogme qui est attaqué et mis en pièces. Car il n’existe plus qu’une seule certitude, c’est celle de l’absence de certitude.
En poussant plus loin les retombées philosophiques de ses travaux, G. Chaitin désire mettre en évidence la convergence des approches mathématique et physique qui sont considérées comme radicalement différentes par la majorité de la communauté. Loin de vouloir mettre en défaut cette explicitation, nous nous contenterons pour notre part, du moins dans un premier temps, de mettre en évidence le caractère expérimental de l’informatique afin d’établir un autre pont aérien dans cette bataille philosophique.
Il est clair que l’informatique contient pour ainsi dire par définition en raison de l’omniprésence de l’ordinateur, une part importante d’expérimental en son sein. Seulement cela en quoi la différencie-t-elle des mathématiques ? De cela, il est rarement question aussi nous voulons nous y attarder quelque peu. Pour cela nous allons exploiter le concept d’intuition. Il s’agit d’un truisme que de considérer l’intuition comme un élément indispensable à l’activité intellectuelle que représentent les mathématiques, l’informatique et même la physique. Cependant la profondeur de l’intuition n’apparaît que dans les travaux paradoxalement formels des intuitionnistes tandis que pour l’informatique nous nous contentons bien souvent des faits. Or l’impact de l’ordinateur est colossal sur ce que nous nommons l’intuition. Car même si cette dernière semble non formelle et ne suit pas nécessairement des étapes que nous conceptualisons, nous avons conscience qu’elle atteint parfois ses limites mais aussi qu’elle évolue selon les connaissances acquises. De plus elle opère de manière quelque peu expérimentale. Quant à l’ordinateur, il permet par la puissance de ses calculs et la compactité de son programme non seulement d’effectuer des expériences mais aussi de dépasser notre intuition sur des points particuliers. Par ce biais au moins dans le domaine informatique, l’ordinateur devient naturellement un outil heuristique qui est habituellement accepté s’il est associé à un certificat ultérieurement. Ce même schéma mental apparaît aussi dans le domaine des mathématiques effectives qui ne se contentent plus seulement de l’existence de solutions mais qui considèrent comme nécessaire leur explicitation même si celle-ci est effectuée par la négative. Ainsi à travers celles-ci en recherche le caractère expérimental même lorsqu’il s’agit de questions purement théoriques est fondamental. Et l’apport de l’informatique via la rupture cognitive que représente l’expérience de dépasser son intuition engendre au sein même des mathématiques un noyau constitué de schémas mentaux qui vont dans le sens de théoriciens de l’information. Ainsi la théorie confirme dans la mesure où cela est possible, que l’expérimental est nécessaire au théorique.