9296 - Dans le labyrinthe temporel

N. Lygeros

Durant tout l’enseignement de l’érudit, la bibliothécaire avait toujours vu le temps comme une entité linéaire. Ce ne fut qu’en découvrant l’histoire du Chevalier sans armure qu’elle commença à prendre conscience de sa complexité réelle et même peut-être imaginaire comme aurait pu le dire son Maître dans une exégèse de la théorie d’Albert Einstein. Cependant elle avait encore du mal à saisir la théorie de la ramification. Certes elle connaissait l’existence de Roland Fraissé mais cela l’aidait peu dans sa compréhension des subtilités de cette théorie qui était logiquement équivalente à la théorie orthodoxe. Avant de le connaître, elle n’avait jamais donné autant d’importance à la notion d’interprétation. Et puis maintenant qu’elle découvrait le monde des Chevaliers sans avoir le recours de refermer le livre, elle voyait de ses propres yeux, cette réalité tangible qui était jusque-là tout simplement impensable. Elle repensait à tout cela pendant qu’elle préparait elle aussi la venue de l’ami du Chevalier. Cette rencontre était très importante, elle l’avait compris par le regard de ce dernier. Elle était persuadée désormais qu’il se tramait quelque chose d’important sans vraiment saisir sa nature. Il ne s’agissait plus de réfléchir seulement, il fallait agir maintenant.

L’échange eut lieu dans un autre pays. C’était le premier contact pour elle, même si ce dernier fut avant tout indirect. En effet, elle n’avait pas pu assister à la rencontre secrète. Elle n’avait su que par la suite, l’intervention de la branche italienne qui est devenue par la suite française. Et pourtant, elle connaissait ce nom depuis longtemps. La division de l’anneau de Saturne luttait donc elle aussi contre le croissant de lune. Était-ce la raison pour laquelle le Chevallier avait demandé cette viennoiserie si particulière, le matin de leur prise de contact ? C’était possible, après tout, mais elle ne pouvait le garantir. En sortant son maître lui esquissa un sourire. Elle n’avait pas besoin de plus pour comprendre que les prémices de la bataille étaient en place. Et celle-ci serait navale de toute évidence. À cet instant, comme par réflexe, elle se souvint de la bataille de Lépante. Était-ce simplement une association d’idées ou existait-il un lien plus profond mais encore invisible. Elle avait l’impression d’être dans un labyrinthe temporel. La richesse et la complexité du temps n’avaient rien à envier à l’espace. Elle s’éloignait du bâtiment dans le silence du chevalier jusqu’à ce qu’ils atteignissent la Vieille Ville. C’était son endroit de prédilection depuis qu’elle l’avait découvert mais ce n’était que maintenant qu’elle comprenait pourquoi elle allait y manger du sanglier.