966 - Les premiers pas de la résistance

N. Lygeros

En analysant l’historique des mouvements de résistance, il est difficile de percevoir à quel moment précis ils se sont organisés. Cette difficulté intrinsèque provient de la faiblesse de notre analyse quant à la situation intellectuelle et psychologique des individus. Il est bien sûr facile de traiter le phénomène d’agglutination une fois que le processus a été initié par une poignée de personnes, mais les décisions de cette poignée d’hommes est pour ainsi dire imprévisibles à moins que l’un d’entre eux ait relaté a posteriori le récit au jour le jour de cette résistance.

Aussi le premier problème demeure intact. Il est pour ainsi dire inaccessible car comment savoir à quel moment précis un homme donné prend la décision consciente de participer à une résistance ou encore mieux de la créer. Il s’agit, du point de vue théorique, d’un problème d’effet de bord. Celui-ci a lieu au sein de l’axiologie individuelle que nous nommerons par la suite plus simplement l’éthique de l’individu. En effet celle-ci se comporte comme une région mentale qui s’active dès qu’un phénomène touche à l’une de ses frontières. Ceci est pour ainsi dire un truisme mais il comporte tout de même une difficulté à savoir quelle est la taille de cette région mentale. En tout cas celle-ci ne doit pas être confondue de manière triviale avec la sensibilité de l’individu. La prise de décision de mener une action de résistance, ou encore mieux de la créer, comporte aussi des composantes d’ordre tactique et stratégique. Car il ne s’agit pas de mener des hommes qui ont confiance à un échec assuré. Il faut avant tout sauver des vies et non pas les mettre en péril même si la combinaison est parfois inévitable dans les situations extrêmes. Néanmoins les premières prises de décision ont toujours lieu bien avant l’apparition d’événements tragiques sans pour autant que cela élimine de manière définitive les décisions de circonstance. Pour l’homme, la prise de décision est un événement important mais pour un stratège c’est un événement fondamental. Les causes perdues sont intéressantes pour les romans mais non pour les vies humaines. Celles-ci n’ont pas besoin d’être sacrifiées à perte, c’est de cela que le stratège est responsable. Car selon le mot de Dostoïevski, il est responsable de tout devant tous comme tout homme digne de mériter ce terme. Seulement lui vit dans la réalité, dans cette réalité construite par son espace mental qui demeure essentiellement inaccessible. Cette réalité sanctionne toute erreur d’estimation. Aussi cette prise de décision n’est pas seulement un changement de phase c’est aussi une recherche d’une masse critique capable de transformer la mentation en réalité effective. C’est à l’ensemble de ces répercussions que l’organisateur d’une résistance «« improvisée »» doit penser. Les critères sont complexes et croisés aussi cette décision n’est jamais simple même si l’analyse historique qui s’effectue a posteriori semble insister sur le caractère logique de celle-ci. Néanmoins, s’il y a un fil conducteur dans cet assemblage, il ne peut être que de l’ordre de la nécessité.