991 - Sur la notion d’intelligence collective
N. Lygeros
La notion d’intelligence collective n’est pas nouvelle en soi puisqu’elle a été mise en évidence par l’éthologie. Seulement avec l’avènement de l’informatique et plus particulièrement de la simulation, cette notion est non seulement devenue plus concrète alors qu’elle était naturelle mais d’une certaine manière inaccessible, mais de plus elle représente désormais une heuristique efficace pour résoudre des problèmes que nous pouvons, combinatoirement parlant, qualifier d’explosifs. L’exemple sans doute le plus frappant, c’est celui du routage qui intéresse particulièrement le monde des algorithmes parallèles. En réalité tout problème à modification rapide et de nature non linéaire est a priori un exemple potentiel de cas où la puissance de l’intelligence collective peut être mise en évidence.
Basée sur l’idée que seul le global et non le local est véritablement intelligent, la notion d’intelligence collective permet de conceptualiser l’approche holistique. De plus, elle affirme la non nécessité de l’existence d’une intelligence locale et exploite la notion de masse critique. Sans se préoccuper du changement de phase que représente cette dernière, elle ne s’attache qu’à son efficacité computationnelle mais pas simplement dans le sens classique où l’optimisation constitue un idéal. L’intelligence collective ne recherche pas la solution optimale mais tout simplement la solution effective. Via cette téléologie elle met en avant la robustesse, cette stabilité structurelle qui lui permet, d’une part de résister aux attaques, dans le sens littéral du terme et d’autre part de résoudre des problèmes autrement intractables. Toute la puissance de cette notion provient aussi de son acceptation. Consciente de sa réalité et de la complexité de la réalité, elle ne tente pas par principe de la saisir dans sa totalité. Elle ne s’intéresse qu’à ce qui lui semble accessible, et en ce sens nous pourrions dire par analogie avec la machine de Turing, qu’elle représente une machine de Wittgenstein.
Isolée dans un monde complexe à géométrie variable, elle assure sa survie par sa capacité non pas à s’adapter mais à évoluer. Dépourvue de buts extrinsèques, elle considère son évolution comme un but en soi et c’est sans doute pour cette raison que la notion d’intelligence collective est d’une capacité redoutable dans le monde mathématique. En effet dans ce cadre, la seule chose qui importe pour une entité donnée, c’est ce qu’elle soit capable d’engendrer et d’appréhender. La métaphysique n’a pas de sens. Elle se contente dans le meilleur des cas du point de vue formel de la métamathématique qui n’a pas les mêmes principes. Ainsi l’approche pragmatique des algorithmes basés sur la génétique, les fourmis ou les réseaux de neurones ne tente jamais une résolution locale mais toujours globale. Sans savoir la cause de la réussite de la méthode de l’intelligence collective, celle-ci demeure pour le moment notre plus puissante arme lorsque nous en sommes théoriquement dépourvus.