2254 - Le thème du géant chez Leonardo da Vinci
N. Lygeros
Le thème du géant ne nous est pas inconnu en littérature. Parmi les exemples les plus célèbres, nous avons dans l’ordre chronologique, celui de Rabelais (1494 – 1553) avec son Pantagruel (1532) et son Gargantua (1534), puis celui de Swift (1667-1745) avec son Gulliver (1726) et enfin celui de Voltaire (1694-1778) avec son Micromégas (1752). Ces géants sont avant tout des prétextes à des critiques sociales mais aussi à des récits héroï-comiques qui tendent avec le temps à devenir des contes philosophiques d’une ampleur dévastatrice. Néanmoins, nous ne sommes pas toujours conscients du caractère diachronique du thème du géant dans sa forme la plus simple. Car il existe aussi des motifs proches comme celui des moulins dans le Don Quichotte de Cervantès. Mais revenons à notre géant à travers l’œuvre de Leonardo da Vinci. Celui-ci note dans ses cahiers une strophe d’un poème de Pulci qui est l’auteur de Morgante. Et c’est peut-être cette parodie bouffonne, comme l’indique André Chastel, qui lui a inspiré la facétie qu’il adresse à son ami voyageur et journaliste qui répond au nom de Benedetto Dei. Le récit a la forme d’un échange épistolaire et il commence de cette manière.
« Cher Benedetto Dei,
Pour te donner des nouvelles du Levant, sache qu’il est apparu en juin un géant venant du désert de Libye. Ce géant, né sur le mont Atlas, était noir et avait combattu Artaxerxès, avec les Egyptiens, les Arabes, les Mèdes et les Perses. Il vivait dans la mer de baleines, de cachalots et de bateaux. »
Nous retrouvons dans ce début de récit qui retrace les origines du géant des références à des thèmes antiques. Et ces références fixent le cadre pour ainsi dire historique de cette fiction. Leonardo da Vinci aurait pu s’inspirer des Géants et des Titans de la mythologie grecque. Même les Cyclopes auraient pu servir de base à sa narration. Seulement son but est autre.
« A la chute du fier géant sur la terre pleine de boue et de sang, on eut dit l’effondrement d’une montagne ; la campagne eut une sorte de tremblement de terre qui effraya Pluton dans son enfer, et Mars, craignant pour sa vie, se réfugia sous le lit de Jupiter. »
Cette fois la référence est latine et nous ne pouvons manquer de constater le sarcasme à l’encontre du dieu Mars. Les dieux sont mentionnés mais ils ont des aspects humains.
« Sous la violence du choc, il resta abruti sur le sol. Le peuple aussitôt, le croyant foudroyé, arrive en grande foule, comme de fourmis qui courent en furie sur le tronc du chêne abattu ; ils parcourent les grands membres et les percent de multiples blessures (comme les fourmis qui se répandent furieusement partout sur le chêne abattu par la hache du solide paysan.) »
Leonardo da Vinci utilise une analogie qui permet de rendre plus réaliste son récit et par ce biais il apparaît comme un précurseur des auteurs que nous avons mentionnés dans notre introduction.