2191 - Sur la cohérence de la politique française
N. Lygeros
Pour la politique française, la question arménienne n’est pas seulement formelle. Il ne s’agit pas de considérations strictement territoriales puisque l’Arménie n’est actuellement qu’un petit état du Caucase. Il ne s’agit non plus de mettre en place des accords directs d’une importance vitale pour la France. Le véritable enjeu est d’ordre géostratégique et il concerne de très près la question orientale i.e. les négociations européennes avec la Turquie, et aussi dans un cadre plus ou moins flexible, la problématique de la reconnaissance du génocide des Arméniens. Les données ne sont pas indépendantes. Les historiens le savaient mais désormais même les hommes politiques doivent en tenir compte dans le discours. Car une des raisons du sacrifice de la Constitution Européenne en France, c’est bien le problème de son lien avec la question de l’adhésion. Par sa volonté d’apprivoiser la Turquie au sein de l’Union Européenne, le Président a mis le doute sur le projet de la Constitution alors que celle-ci comporte des articles qui rendent plus difficile une future adhésion. Via la désinformation et un discours ambigu, les critères mis en place n’ont pas été valorisés mais au contraire rendus suspects aux yeux des citoyens français. Désormais, les hommes politiques savent que la question orientale n’est plus simplement un problème des affaires étrangères. Elle a des conséquences directes même dans l’intérieur du pays. Dans ce nouveau contexte, la pénalisation de la non reconnaissance du génocide des Arméniens prend une nouvelle tournure. En effet, a présent, il ne s’agit plus de se contenter d’un verbiage diplomatique dans lequel la langue de bois est reine. C’est un nouveau critère quant à la cohérence de la politique française. La France doit faire un choix et celui-ci sera visible. Il ira soit dans le sens des droits de l’Homme, soit dans le sens des bassesses politiques. Une visite de l’Arménie n’a de sens que si elle est suivie d’actes et de décisions éthiques. Car la reconnaissance du génocide des Arméniens n’est pas seulement un enjeu diplomatique. Elle a certes des répercussions dans ce domaine mais nous ne saurions la réduire à celui-ci. Avec la reconnaissance du parlement européen en 1987 et celle de la France en 2001, la pénalisation représente une suite logique qui appartient au processus de réparation. Dans ce champ, la France a son mot à dire, en tant que pays défenseur des droits de l’Homme. Car elle inspire depuis des décennies une grande partie de l’Europe via son action au sein de l’Union Européenne. Elle ne peut donc se dérober devant ses responsabilités toujours grandissantes. Depuis quelques temps en raison de la question orientale, elle n’osait plus prononcer ouvertement le mot génocide. Il était aisément remplacé par celui de massacre. Seulement cette tactique n’a pas d’avenir. Pas même au sein de la France. En effet, le génocide des Arméniens n’est pas seulement un acte de barbarie ou même un crime de guerre, c’est un crime contre l’Humanité et c’est en tant que tel qu’il doit être jugé et le coupable condamné. Nous sommes encore loin d’assister à l’équivalent du procès de Nuremberg, cependant ce but n’est pas une utopie mais une réalité tangible. Aussi la pénalisation de la non reconnaissance est une étape intermédiaire non seulement importante mais nécessaire. Dans ce cadre, il est certes agréable de constater l’avancée que représente la visite du chef de l’Etat en Arménie, seulement personne n’est dupe dans le domaine diplomatique, le sens de cette visite n’aura une explication qu’avec le vote de la pénalisation de la non reconnaissance du génocide des Arméniens.