1738 - Mémorial humaniste
N. Lygeros
Qualifier un génocide de complexe n’est pas approprié. Le génocide est simpliste car c’est un acte de barbarie. Il représente, au contraire, le refus de la complexité de la diversité. Il ne symbolise pas non plus l’horreur, il en représente le comble parce qu’il est sa réalisation suprême. Dans ce cadre, le mémorial du génocide des Arméniens se doit d’être une réflexion de la conscience collective et humaniste. Il ne s’agit pas d’une intervention locale mais d’une conceptualisation globale de l’apport du génocide dans la mémoire des hommes. L’utilisation de la poésie et de la musique permet de renforcer le caractère universel du mémorial. Et il en est de même pour les traductions. Via son abstraction et sa sobriété, le mémorial transgresse les limites de la société de l’oubli sans pour autant blesser les hommes. Sa présence ne gêne aucunement leur passage. Créé pour rester, il représente un repère transparent. Sensible aux innovations de Le Corbusier via ses unités élémentaires sur pilotis, il respecte le sol, la terre des hommes d’Antoine de Saint Exupéry. Influencé par la musicalité de Yannis Xénakis, il devient architecturalement une partition lapidaire. La sobriété des matériaux employés est une autre forme d’hommage aux innocents, victimes du génocide. Aucune débauche, rien de clinquant, le mémorial s’inspire d’une philosophie minimaliste qui se concentre sur l’essentiel de l’homme, à savoir son humanité. Monument humaniste à part entière, le mémorial s’intègre parfaitement dans la ville de Jean Moulin. L’arménité de l’architecte se développe sur des motifs ancestraux qui se combinent parfaitement avec les schémas mentaux de la mémoire. Il n’y a pas de volonté d’imposer une culture différente. Au contraire, la mentation du créateur unit dans la diversité à l’instar de la devise européenne, les acquis d’une culture qui désire partager son savoir mais aussi sa souffrance avec d’autres cultures, d’autres peuples. De cette manière, le mémorial de Lyon montre le caractère profond du génocide des Arméniens : c’est un crime contre l’humanité. L’arménien en tant que poète, musicien mais aussi architecte rend ainsi hommage à l’ensemble de l’humanité. Ainsi dans cette ville qui appartient au patrimoine mondial, nous aurons désormais un hommage à l’humanité. Tout cela pourrait paraître formel et sans doute factice pour les sceptiques. Cependant les réactions des fanatiques de l’oubli qui perpétuent le génocide de la mémoire prouvent que nous avons à mener un combat de la résistance. L’humanité des hommes a besoin d’être protégée contre le fanatisme. Encore récemment un cimetière arménien a été assassiné par la barbarie car les croix ne savent protéger que les hommes. Le mémorial humaniste devra être protégé non seulement au moment de son érection mais aussi par la suite. Car il ne s’agit d’une bataille d’un instant mais d’une véritable guerre de la mémoire. Le mémorial sera donc révélateur de notre capacité de résister face à l’agresseur. C’est en ce sens qu’il constitue un témoin. Il existe pour ne pas oublier, il existe pour montrer, il existe car ils sont morts. Sans être un symbole de la justice, le mémorial humaniste est le message des innocents, mais aussi des justes, car la pierre ne peut taire la souffrance des hommes.