1694 - L’art d’enseigner
N. Lygeros
C’est seulement sans la restriction de l’enseignement social et scolaire que nous pouvons véritablement parler de l’art d’enseigner. Car il ne s’agit pas d’entrer dans une procédure qui consiste à concilier les contraintes de la société et de l’homme. L’art d’enseigner ne concerne que l’homme et rien d’autre. Il ne s’agit donc pas d’étudier la paire professeur-étudiant mais bien celle de maître-élève. Dans cette perspective, il est fondamental de spécifier certaines caractéristiques du maître. En effet, pour sa part, il ne peut se restreindre au savoir, il doit aussi le communiquer. Seulement il ne faudrait pas le réduire au rôle de pédagogue, ni même de didacticien. Sa maîtrise doit englober l’art d’enseigner et pas uniquement l’enseignement. Aussi son rôle s’articule autour de trois axes : savoir, communiquer, mettre en valeur. Le savoir provient des connaissances acquises. La communication elle, s’appuie sur ses capacités pédagogiques. Et la mise en valeur s’active pour promouvoir les capacités de l’élève. La première partie concerne le maître, la seconde le pédagogue et la troisième le mentor. Bien sûr les frontières entre ces capacités ne sont pas hermétiques, et nous ne désirons pas les cloisonner. Néanmoins, certaines distinctions doivent être effectuées afin de mettre en exergue le rôle de chacune de ces parties. De plus même l’art d’enseigner comporte ces trois parties, il est bien rare de les voir toutes réunies chez un même homme. Aussi nous devons bien souvent nous restreindre afin de parler de cas réels dans le monde de l’enseignement. Par contre lorsque nous devons nous intéresser à l’art d’enseigner, il nous faut dépasser les contraintes techniques car ces dernières forment un rempart entre l’artisanat et l’art. Nous nous concentrons désormais sur le problème de la création et de l’unicité car il met en évidence la difficulté intrinsèque du fonctionnement du trio que nous avons analysé. En effet comment enseigner la création et l’unicité sans y avoir accédé soi-même. C’est possible dans une certaine mesure via le rôle du mentor. Cependant ce dernier ne peut être confondu avec celui d’un manager. De même que le pédagogue ne peut être simplement un informateur. La création et l’unicité proviennent initialement du maître qui représente un amalgame vivant de cognition et de réalisation. Sans cette partie, le pédagogue ne peut atteindre que le niveau de la critique. Or elle ne peut se contenter de cela même si elle est accompagnée de la partie du mentor, car elle est nécessairement limitée par le schéma mental suivant : nous ne voyons que ce que nous comprenons. Et sans la maîtrise, cette capacité de voir est par définition restreinte. Le trio est bien constitué de différents aspects mais il ne fonctionne vraiment que lorsqu’il est confiné sur la même personne. Et c’est seulement dans ce cadre qu’il prend tout son sens. Sinon il demeure dans une situation dégénérée qui ne peut en aucun cas être génératrice de transformations irréversibles. Car c’est cela le point clef de l’art d’enseigner. Cette capacité à utiliser le temps pour séparer les évènements et montrer ainsi l’évolution et la révolution du monde. Au-delà de la technique, l’art d’enseigner met en exergue notre humanité.