1669 - Leonardo da Vinci et François Ier
N. Lygeros
Certains pensent, selon nous à tort, que l’invitation faite à Leonardo da Vinci par François Ier n’est que le résultat d’un habile stratagème dont le but n’était que le prestige. Nous pensons que le prestige représentait bien un réel but mais non pour la même raison. Car comme l’a très justement remarqué Michelet à propos des princes : « Tous honorèrent les artistes. Mais François Ier les aima. »
Au moment où Leonardo da Vinci arrive en France, son esprit universel a déjà été abandonné par sa vigueur physique. C’est un homme non seulement vieux, mais usé par cette vie tourmentée que fut la sienne. De plus, selon toute vraisemblance son bras droit est paralysé aussi il serait inopportun de le considérer comme une source directe en matière de prestige. Ce dernier ne peut provenir que de son œuvre. Et pour cela, il fallait qu’elle soit connue. Or dans le convoi qui le mène en France, nous retrouvons les fameux tableaux qui répondent aux noms de Joconde, Sainte-Anne et Saint Jean-Baptiste. Comme à l’image de toute sa vie, tout est encore contestable, car la reconnaissance de son génie universel a toujours été une gageure. Et c’est bien à François Ier que revient la gloire d’avoir fait venir en France les œuvres suivantes : La Belle Jardinière , Jeanne d’Aragon, Saint Michel et la Sainte Famille. Il faut beaucoup d’intelligence pour reconnaître le génie. Et cette intelligence, François Ier la possédait. Aussi réduire son admiration envers Leonardo da Vinci à un simple stratagème diplomatique, c’est tout simplement insulter son intelligence, mais aussi la nôtre. Car comment ne pas voir que tout dans la manière de faire de François Ier était un modèle de respect. Il voyait sans doute dans le génie universel de l’artiste la reproduction de celui d’Aristote. Certes, il pouvait se comparer à Alexandre, et nous pourrions considérer cela comme une prétention mais ce serait l’accuser à tort puisque le contexte du roi-chevalier lui donne raison. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que François Ier voyait en Leonardo da Vinci non seulement un grand artiste et un génie universel mais aussi un complément indispensable à sa propre identité. François Ier semble conscient du fait que seul la résolution intellectuelle intéresse véritablement le maître. Il ne lui passe pas commande des réalisations pratiques. Il préfère l’écouter en tant que conseiller artistique et technique. Il est attaché à esprit car il connaît son corps. Il ne lui demande que ce que le maître peut lui offrir. Il ne tente pas de l’exploiter. Il l’aime trop pour le faire car en Leonardo da Vinci il ne voit pas simplement l’artiste, il voit avant tout l’homme de la renaissance. Par contre il n’est pas conscient du fait que Leonardo da Vinci représente aussi le premier scientifique du siècle à venir. François Ier ne comprend ou plus exactement ne tente de comprendre que le passé du maître et non son futur. Il ne l’a connu que vieillissant aussi il est difficile pour lui, voir impossible, de saisir l’ampleur de son esprit du futur. François Ier a aimé les artistes, et il a sans doute adoré Leonardo da Vinci, c’est tout ce que nous pouvons lui reprocher. Le stratagème dont il est accusé n’aurait eu de sens que s’il l’avait compris.