1636 - Le monde de l’enfant précoce
N. Lygeros
Tous les spécialistes s’accordent à dire que le monde de l’enfant est extrêmement complexe à décrire. Alors que dire de celui de l’enfant précoce ? Comment interpréter cette dysynchronie fondamentale qui le caractérise ? Autant demander la couleur d’un caméléon sans aucun contexte. Comme tout est différent, il faut rechercher l’attracteur qui réalise sa vision. Il y a certes dans celui-ci l’idée du malheur d’être né enfant même si le monde entier semble une immense cour d’enfants. Il y a aussi cette absence de perfectibilité. Comme si tout avait été et que rien ne pouvait changer. Pourtant le schéma mental de la structure ouverte offre des possibilités herméneutiques importantes. Car dans celle-ci même si tout est en place, tout reste à faire. L’être est las sans œuvre et l’œuvre est là sans l’être. La précocité est avant tout une œuvre virtuelle. Tout est potentiel. Tout doit devenir cinétique. Son énergie est dans la créativité et non la création. Même si l’être semble statique, c’est dans l’œuvre qu’il faut chercher la dynamique. Dans cet univers clos de l’enfant précoce, seule l’oeuvre représente une ouverture sur le monde. Car le reste demeure inaccessible. Non pas en raison d’un autisme interne mais bien externe. Car ce phénomène d’incompréhension que nous avons face à l’enfant autiste, l’enfant précoce l’a vis-à-vis de la société qui est intrinsèquement fondée sur des bases qui ne sont pas les siennes. Dans ce lieu que représente l’enfant précoce, se déroule un combat entre l’humanité de l’être et la société des êtres. Dans cette mémoire du futur qui constitue l’essence du monde de l’enfant précoce, la société voit un ennemi du présent. Aussi elle le réduit volontiers au monde des enfants afin de ne pas avoir à lui rendre de comptes vis-à-vis de ses actions. Cependant l’enfant précoce se souvient car il a décidé de ne pas oublier afin que le monde qui est aussi le sien, l’humanité vive. Ainsi pour la société, l’enfant précoce à travers son monde représente un adversaire qu’il faut réduire à néant par tous les moyens. Afin que tout reprenne sa place initiale sans subir de perturbations. Seulement l’humanité ne vit qu’à travers la survie de certains d’entre eux qui malgré leurs affres surmontent l’insoutenable légèreté des êtres pour aider ceux qui ne le peuvent pas, ceux que l’autisme social a anéanti via la condamnation de la normalisation. Il apparaît donc que le plus simple modèle pour décrire le monde de l’enfant précoce, c’est notre monde car il est lui aussi le résultat d’une pensée de même type. Une pensée dont la structure ouverte permet de créer de nouveaux nœuds dans le réseau complexe que représente l’humanité. Pour comprendre ces singularités, il est pertinent d’examiner la variété qui les inclut comme pour comprendre cette variété, il faut saisir le sens des singularités. Nous nous retrouvons donc dans une forme de complémentarité intrinsèque.