1506 - Jeu de cartes
N. Lygeros
Dans un précédent article, nous avons analysé le sens géostratégique des cartes. Cette fois, nous voulons étudier l’impact psychologique des cartes et leur exploitation dans le contexte du dogme stratégique.
Un exemple tout à fait caractéristique, c’est celui du regard grec de la Turquie. En effet celle-ci représente depuis la chute de Constantinople en 1453, le génocide des Pontiques en 1918, la catastrophe de Smyrne en 1922, le traité de Lausanne en 1923, la perte des îles de Imvros et Ténédos, un mur asiatique. L’Asie Mineure constitue pour la Grèce un rempart inaccessible. Aussi dans ce cadre nécessairement restrictif, il ne reste qu’un seul rôle à la Grèce, à savoir défendre ce qu’elle possède. Et ceci est particulièrement vrai pour les îles de la mer Egée. Cela explique, entre autres, pourquoi certaines d’entre elles, sont considérées comme des zones grises pour le régime militaire turc. De plus, s’il fallait rendre encore plus claire la situation, il suffirait de mentionner le casus belli imposé par la Turquie qui interdit de facto toute revendication de la part de la Grèce au sujet des 12 miles.
Par contre, dans le cadre du dogme de défense commune qui unit la Grèce à Chypre, le regard de la même carte est radicalement différent puisque les espaces des deux pays mentionnés forment un champ aérien et maritime commun via la présence de la petite île de Kastellorizo. Cette fois, avec l’existence de Chypre, le front est enfoncé par le bas et ce, même si l’île de Chypre est encore occupée. Ce changement a été renforcé par l’entrée de Chypre en 2004 dans l’Union Européenne puisque la Grèce s’y trouvait déjà depuis 1981. Mais le cadre européen ne s’arrête pas là.
En effet indépendamment de la candidature orientale, l’Union Européenne a déjà entrepris des contacts avec l’Ukraine, la Géorgie et l’Arménie. Comme l’ensemble de ces pays sont de tradition chrétienne, pour la Turquie cela représente un revirement de situation puisque cette fois, les contacts se font aussi dans son revers stratégique. Ainsi même du point de vue de la Grèce qui a, entre autres, de très bons contacts avec l’Arménie, la notion de rempart inaccessible perd son sens.
Toujours dans ce cadre, mais cette fois dans le domaine du droit international et plus précisément du rôle de la Cour européenne pour les droits de l’Homme, le cas de Chypre avec ses recours à l’encontre de la Turquie pour non jouissance de droit montre l’exemple aux populations des îles de Imvros et Ténédos comme le mentionne le rapport de la Commission européenne du 6 octobre 2004, de la ville de Constantinople relativement au traité de Lausanne, de la région du Pont et bien sûr de l’Arménie Occidentale.
A l’encontre du regard initial, nous voyons apparaître une vision qui va aussi dans le sens de la libération des territoires kurdes. Cette vision nous montre une nouvelle carte que certains évitent d’examiner par crainte des bouleversements géostratégiques qu’elle représente. Cependant ces changements ne sont pas un simple jeu de cartes. La partie a déjà commencé.