1267 - La remise en cause en tant qu’apport
N. Lygeros
Il est sans doute quelque peu inconfortable de réfléchir sur la remise en cause, cependant comme l’a souligné Castoriadis il s’agit sans doute de l’apport principal de l’hellénisme mais aussi de l’Europe vis-à-vis du monde. C’est pour cette raison que nous voulons ici l’analyser à travers ce point de vue.
Il est nécessaire tout d’abord de préciser que la notion de remise en cause n’est pas négative en soi. Nous la considérons comme un élément spécifique de la procédure noétique de feedback. Il s’agit en d’autres termes d’une prise de conscience d’un acte pensé qui engendre une post-réflexion de manière à créer un nouveau cadre de pensée. Ainsi le processus réflexif renforce le processus de réflexion. En l’absence de cela, la création de ce que nous appelons dogme, dans le sens négatif et non stratégique du terme, est tout simplement inévitable. Et cela est général quelque soit le contexte aussi bien philosophique que religieux, aussi bien humain que social. La remise en question apparaît donc comme un processus nécessaire. Cependant nous devons préciser dans quel sens elle peut constituer un apport.
Bien que cela puisse paraître paradoxal en termes de difficulté, le plus facile pour s’initier à l’apport que représente la remise en question, c’est le raisonnement par l’absurde. En effet dans cette manière de faire la proposition n’est pas démontrée directement. Au contraire, elle est directement remise globalement en cause afin d’examiner les conséquences de cette optique. Le raisonnement se déroule ensuite comme tout raisonnement mathématique selon un processus formalisé dans la théorie des séquents en logique. Et il aboutit enfin à une contradiction qui prouve alors que la proposition initiale était bien correcte. De cette façon il est clair que la remise en question représente un acte cognitif qui renforce a posteriori une idée.
Cependant son apport peut être encore plus subtil et pour le constater nous pouvons nous appuyer sur la théorie des jeux et en particulier des jeux continus dans le cadre découvert par Stackelberg. En effet ici chacun des joueurs a une stratégie pour maximiser son gain. Pourtant si le premier joueur joue effectivement avant l’autre alors il peut estimer la stratégie adoptée par le second qui connaît son mouvement. Ainsi dans un cadre pourtant orthologique, nous avons le paradoxe suivant. Alors que c’est le second joueur qui a le plus d’informations par rapport à un jeu synchrone, le premier joueur en s’appuyant sur le fait que son mouvement va être utilisé par le second peut sensiblement améliorer son propre gain tandis que ce n’est pas forcément le cas pour le second joueur. Cette fois la remise en cause vient apporter des informations inconnues initialement afin d’améliorer la stratégie initiale.
Enfin la remise en cause constitue un apport encore plus important dans le cas où la position est erronée dans le sens qui affecte le raisonnement initial et sert cette fois de filtre qui va repérer les défauts de la structure initiale. Elle correspond dans ce cas à la notion de certificat que nous avons en théorie des nombres au sujet des nombres premiers potentiels.