919 - Sur la recherche de la clarté
N. Lygeros
Pour Ludwig Wittgenstein, il y a dans le progrès qui caractérise notre culture un élément qui aliène la clarté. En effet il écrit : « La clarté elle-même ne fait encore que servir une telle fin, au lieu d’être à soi-même la fin. Pour moi au contraire, la clarté, la transparence, est à elle-même sa propre fin ». Et il explicite sa pensée de la manière suivante : “Elever un édifice, cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse est d’avoir devant moi, transparents, les fondements des édifices possibles “. Bien que cela puisse paraître en contradiction avec l’évolution de la pensée, nous pouvons y percevoir plus en profondeur un modèle de l’activité mathématique en recherche. Et sans doute l’exemple le plus frappant c’est celui de la complétion de la classification des groupes finis simples. Car il ne s’agit en aucun cas de la construction d’un nouvel édifice, mais de la compréhension d’un ensemble hétéroclite de méthodes, qui ont théoriquement le même but sans pour autant qu’elles éprouvent le besoin d’unifier leur réalisation. Alors que pour le spécialiste de la théorie des groupes, il y a la nécessité de clarifier ces structures démonstratives afin de saisir les schémas mentaux qui construisent l’essentiel de la structure sans devoir l’alourdir par des considérations techniques superflues. Nous voyons que dans ce cadre la clarté certes structurelle devient une fin en soi, elle ne représente plus un intermédiaire nécessaire. Car historiquement la structure globale de la théorie des groupes finis simples était déjà évidente sans être claire pour autant. Elle était descriptivement claire mais dépourvue de tout caractère exégétique. Si nous considérons ce théorème comme la construction d’un édifice nous sommes en opposition avec les dires de Ludwig Wittgenstein. Cependant si nous considérons ce théorème comme une clarification d’une existence historiquement existante alors nous allons dans son sens.
Nous nous rendons compte via ce paradigme, que l’opposition que crée la pensée de Ludwig Wittgenstein au sujet de la clarté et de la construction, une fois incorporée dans une structure diachronique dont les éléments sont évidents mais non clairs, devient en réalité un mode opératoire dynamique certes mais essentiellement isomorphe à la recherche constructive. Et donc cette opposition qui semble dogmatique se transforme en opposition de dogmes isomorphes. Cela nous permet d’interpréter l’approche considérée comme un choix effectué a priori et justifié a posteriori par l’isomorphisme cognitif. Ainsi l’apparition synchronique se résout via l’introduction de la diachronie. De même et ce de manière générale la recherche de la clarté peut elle-même être interprétée comme la construction d’un édifice que nous pourrions caractériser comme une hyperstructure car elle n’est pas le même sens que les précédents. Cependant elle n’en constitue pas moins une construction puisqu’elle est par nature perfectible et en ce sens évolutive et constructive. Même s’il est vrai qu’une fois aboutie via la complétion, elle semble rigidifiée. Pourtant même dans ce cas elle ne peut théoriquement être à l’abri d’une généralisation qui la contiendrait en tant que théorie élégante et qui parviendrait à une encore plus grande clarté.