915 - Le théâtre, la société et le temps.
N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras
1) Le théâtre est-il un art mathématique ?
Votre question contient de multiples schémas mentaux qui constituent uncomplexe s’ils ne sont pas mis en rapport avec la pensée globale. Si nousadmettons que les mathématiques ne sont pas une science comme beaucoup lepensent, mais un art comme peu le savent alors votre question a réellementun sens. Le théâtre est nécessairement constitué de mathématiquespuisqu’ilconcerne la structure du groupe et pas seulement de l’ensemble en sebasantsur les relations humaines dans un cadre particulier où s’applique lathéorie des relations et des graphes. De plus le théâtre fonctionneseulement et uniquement dans un champ virtuel mental qui lui permet dedépasser non seulement les limites de la réalité mais aussi de créer vial’artificiel de nouvelles réalités, chose qui n’a pas de sens sans leconcept mathématique. Cependant le théâtre n’est pas uniquement cela !
2) En tant que moyen de communication et de contact, le théâtretouche-t-ilson but à notre époque ?
Il est vrai que la grande différence entre le théâtre, les mathématiquesetplus généralement les arts est l’élément médiologique qu’il contient. Lethéâtre est d’abord un texte, ensuite une mise en scène et enfin unereprésentation. Sans ces trois composantes, l’essentiel du théâtren’existepas. Mais tout ce système se concrétise seulement par l’intermédiaire dupublic. Pour le théâtre l’ambition de l’art pour l’art est difficile. Lethéâtre existe seulement dans un cadre social et a une valeur en tantqu’oeuvre quand elle modifie l’axiologie non seulement locale mais aussidiachronique. En tant que point de contact et de référence, l’objectif duthéâtre a changé radicalement depuis l’antiquité. Le théâtre ne constitueplus le point central de la société sauf les exceptions artificiellescommele festival d’Epidaure. Le théâtre vit désormais essentiellement en margedela société comme ce fut le cas dans d’autres phases de son évolution. Celane signifie pas qu’il ne joue plus un rôle important. Toujours est-il quecen’est plus un rôle de masse. Mais il existe encore le théâtre d’idées quireprésente des conceptions philosophiques comme il existe encore lethéâtrequi donne la dimension de la présence humaine.
3) Comment pouvons-nous créer la culture théâtrale correcte à tous lesniveaux de l’enseignement et des professionnels ?
Je ne crois pas qu’il existe une culture correcte, la bonne estsuffisante.La difficulté provient de l’ample spectre du théâtre que quelqu’un doitavoir. Bien sûr dans l’enseignement l’accès au théâtre est nécessaire pourle développement de l’enfant non seulement comme spectateur mais aussicommeacteur car nous savons combien c’est important au niveau cognitif. Etc’estjustement pour cette raison que j’ai écrit et monté une représentationthéâtrale pour les enfants à Chypre (cf. Poignées de vie). A un niveauplusélevé comme l’est l’université nous pouvons bien sûr exploiter et mettreenvaleur des relations humaines plus complexes qui concordent avec le styledela tragédie et du drame. En ce qui concerne le sujet du théâtreprofessionnel je considère qu’il n’est pas directement en relation avecl’enseignement car c’est aussi un sujet politique. La cité doit prendreconscience du rôle du théâtre dans le cadre social et là nous pénétronsdansun domaine où existent les fins politiciennes. C”est seulement si nousfranchissons ces obstacles que nous pouvons donner au théâtre la dimensionqui lui appartient.
4) Qui décide des choix du public, de ce qu’il comprend ou pas ?
C’est réellement un des problèmes les plus importants du théâtre et dansledomaine théorique et dans le domaine pratique. Les approches les plushabituelles sont celles qui massifient le public et qui considèrent que detoutes manières il ne peut pas apprécier l’essentiel du théâtre parconséquent le théâtre se transforme simplement en instrument deconsommationcourante. Les autres concernent le théâtre expérimental qui a une vue plusrisquée car elle suit la pensée que la découverte de nouvelles idées estimportante en soi et je considère bien sûr que c’est la seule qui ait unecertaine valeur. Mais nous voyons que bien qu’il s’agisse d’un problèmenoétique, la décision reste politique.
5) Quel est l’avenir du théâtre d’aujourd’hui ?
Le seul horizon reste la société car tout le reste est réalisable. Commejele disais précédemment le théâtre fonctionne dans un cadre virtuel. Seslimites se définissent à partir de l’intelligence et de l’imagination maiselles ne constituent pas un horizon. Tandis que la société qui a le droit,ou plutôt qui le prend, de contrôler l’évolution du théâtre l’enclavenécessairement. Ainsi s’explique le rôle contradicteur que nous attribuonsau théâtre tandis que dans la réalité c’est l’inertie de la société que cesentiment provoque. Le théâtre donne la possibilité aux hommes de fouillerde multiples espaces de leur personnalité mais aussi la multiplicité quel’humanité constitue en tant qu’hypergroupe d’hommes.
6) Le texte antique est toujours actuel. Mais comment le public leperçoit-il ? Refuse-t-il les arrangements modernes ? Les considère-t-ilcomme sacrilèges ?
Le texte antique est toujours actuel car son ontologie est l’essence et satéléologie, la diachronicité. Le texte est déjà objet et l’objet, oeuvredevie. Il n’est pas écrit pour passer mais pour durer. Son but est larecherche des schémas mentaux qui constituent et caractérisent l’être quenous nommons homme. Le sacrilège appartient au théâtre et il n’est pas uneinvention moderne, il ne doit pas être cependant un prétexte qui autorisel’inertie de la créativité. Le concept d’adaptation est une formedéveloppéede l’admiration face à un texte-objet qui a de multiples interprétationsetqui peut enfin s’enrichir indépendamment, si pour le bon sens cela sembleparadoxal, avec de nouvelles données qui non seulement réfutent le passémais créent l’avenir.
Quelques oeuvres de Nikos LYGEROS
Tragédies : Oreste et Electre, Achille et Penthésilée, Ulysse et Calypso.
Drames : Les Démiurges, Les Chacals, Les Toques Noires, Poignées de vie,LeMaître du Temps, Les lumières noires.
Comédies : Autoréférence, Alter Ego, Un Deux-Pièces.
Scénarii : Les ombres de la tour, A la croisée du bleu, Les cordes dutemps.
Romans : Les Caméléons, Les trente baisers du soleil.
Recueils de poèmes : Source de grécité, Nostalgie lumineuse, Les couleursdel’invisible.
Oratorio : Prométhée et Athéna.
Opéra : Le Centaure et le Titan.