741 - Sur la sexuation de la différence
N. Lygeros
Dans les années 80, les travaux de Roiphe et Galenson ont bouleversé les idées de Freud sur la reconnaissance de la différence anatomique. En effet ce dernier la situait dans la période qui s’étale de trois à cinq ans, alors que d’après leurs travaux la découverte de l’existence de deux sexes et de la différence des organes génitaux se situe dans l’enfance plus précoce qui va de dix-huit mois à deux ans. Aussi la perception de cette différence est bien antérieure au développement de fonctions cognitives élaborées comme le langage, les mathématiques et la vision spatiale. De plus, d’après les travaux de Kimura, les différences observées dans cette étude seraient dûes à une organisation cérébrale légèrement distincte selon le sexe. Ainsi, il serait opportun de considérer le sexe comme un élément axiomatique de la structure cognitive. Cela ne veut pas dire pour autant que l’individu n’est pas influençable dans l’évolution de sa sexuation. Il est non seulement pertinent d’insister sur ce point, mais absolument nécessaire car il est source d’une grande confusion. Ce n’est pas parce que l’enfant est sexué que sa sexuation devra suivre inexorablement ses caractéristiques biologiques. A l’instar de sa cérébralisation, la sexuation de l’enfant sera aussi dépendante de sa socialisation. Que ceci soit positif ou négatif n’a pas véritablement d’importance. L’essentiel est dans l’idée que la sexuation est aussi sociale et non seulement biologique. Le point initial de la sexuation de la différence se situe dans la relation qui lie les parents à l’enfant et en particulier avec la mère. Plusieurs études récentes soulignent les différences comportementales de la mère en fonction du sexe de l’enfant. Par exemple, la réponse maternelle serait mieux adaptée au rythme alimentaire du garçon. Il recevrait plus de caresses d’apaisement, tandis que la fille plus de paroles et de sourires. Il a même été montré que juste après l’accouchement la mère ne prenait pas de la même manière son bébé dans ses bras selon le sexe. Ainsi les premières étapes de la sexuation de l’enfant s’effectuent dans la construction relationnelle qui s’instaure entre la mère et le bébé, construction qui va être plongée par la suite dans un entourage propice à l’épanouissement de l’effet différenciateur. En particulier le rôle du père qui est beaucoup plus conservateur sur le plan de la sexuation, va avoir un impact décisif sur l’enfant, sans que cela soit nécessairement conscient. La prise de conscience de cet impact est éminemment importante pour activer le processus de feedback qui sera responsable de l’atténuation des excès par de légères modifications de trajectoire. Cette grande influence sociale met en évidence par ailleurs l’aspect dynamique et temporel de la sexuation. Les enfants possédent un sexe mais ils ne sont pas sexués au sens où nous l’entendons, ils le deviennent via leur socialisation. Inversement, le processus de sexuation de la différence fait partie intégrante de celle-ci mais aussi de la cognition glogale de l’enfant. Aussi une censure de la curiosité sexuelle peut entraver le développement de la sexualité dans son ensemble mais aussi de la curiosité cognitive. Des expériences effectuées auprès des enfants scolarisés vont dans ce sens et montrent que le traitement de l’information doit être global si l’on ne veut pas développer des difficiences qui n’existent pas sur le plan biologique. Loin de devoir segmenter l’enseignement, nous devons nous efforcer de briser les frontières internes et sociales. Car l’enfant fonctionne beaucoup plus à l’instar d’un savant qui s’intéresse à tout, plutôt que d’un expert dans un domaine. De même, pour sa sexuation elle doit évoluer de manière à épanouir l’enfant sans lui imposer un carcan strict qui pourrait s’avérer fallacieux par la suite. Il est vrai que pour des enfants déficients mentalement, cet enseignement si l’on peut s’exprimer ainsi de la sexuation est encore plus délicat. Car il ne s’agit pas de leur imposer un modèle unique et finalement inadapté. Il faut plutôt comprendre comment la déficience intellectuelle affecte cet aspect, par exemple via l’agressivité ou la prostration, via la supputation et l’extrapolation non certifiées par l’expérience réelle. L’enseignant qui doit parfois palier au manque d’expérience des parents face à cette situation spéciale, peut développer un modèle dynamique adéquat en incorporant ce domaine à l’ensemble de son enseignement même si pour cela il est préférable de s’aider d’un spécialiste sans que celui-ci intervienne directement. Car la sexuation est un processus fragile même si ses données sont stables.