654 - De l’étrange à l’entraide
N. Lygeros
L’étrange n’est étrange que pour le normal. L’étrange est normal pour l’étrange. Tandis que le normal n’est que ce qu’il est pour l’étrange. Car l’étrange est essentiellement rare et le rare est normal pour le rare. Même la singularité est naturelle pour elle-même. Elle n’est singulière que pour la variété dans laquelle elle est plongée ou de celle où elle émerge. Aussi il est naturel que dans le domaine de la psychométrie il existe une véritable urgence de spécialistes non spécialistes i.e. de spécialistes surdoués. Sans eux, le surdouement est considéré comme une caractéristique qui stigmatise l’individu. Avec eux, le surdouement n’est plus étrange, il devient une nécessité de la réalité cognitive. Pour les spécialistes normaux, le surdouement est reconnu comme une maladie. Il est diagnostiqué et traité de la même manière. Pour les autres, il appartient aux caractéristiques fondamentales de la notion d’humanité. Ce qui est négatif pour les uns, est essentiel pour les autres. Aussi lorsqu’il s’agit d’aider des enfants précoces qui ne sont que potentiellement surdoués comme nous l’avons explicité dans notre article intitulé : Précocité et surdouement, cette différence est discriminante. D’ailleurs, même si cela peut sembler quelque peu informel, il est clair que les enfants perçoivent rapidement cette différence même si ce n’est pas forcément le cas pour les parents.
L’enfant n’est pas dupe très longtemps. Comme il ne maîtrise pas encore les conventions sociales, il leur accorde une moindre importance. Alors que l’adulte expérimenté qui exploite ce moyen pour se mettre en relation avec les parents, ne peut agir de même avec l’enfant. Ce dernier a une approche plus immédiate dans le domaine des relations humaines aussi il saisit plus rapidement le faux-semblant du spécialiste normal qui le voit dans le meilleur des cas comme un cas et dans le pire comme un simple client. Tandis que le spécialiste surdoué voit en l’enfant les marques de son propre passé. Et c’est entre autres pour cette raison que se tisse plus facilement le lien humain à travers le concept de mentor. Car c’est au sein de cette ressemblance naturelle que se développe l’éloge de la différence. En effet dans la relation classique qui existe entre le professeur et l’élève, il y a une forme de mimétisme. L’élève tente par tous les moyens de ressembler au professeur et ce dernier le récompence de manière proportionnelle. Tandis que dans le couple cognitif maître-disciple les différences sont plus marquées car il existe le même substrat. De même dans le couple mentor-télémaque, il n’y a pas de processus d’identification. Le but du mentor est l’aide au développement du télémaque et celui-ci ne recherche que sa propre réalisation. Il ne s’agit pas de la voie mais de la maïeutique. Le mentor ne déclenche que le processus d’ignition. Il ne conduit pas, il soutient.
Dans la communauté de l’étrange, l’entraide est naturelle. Et ce d’autant plus que les capacités empathiques du mentor sont nécessairement développées. Car ce qui représente un domaine d’étude pour les spécialistes normaux, est en réalité la vie des autres. Le mentor ne remplace personne car le télémaque sait qu’il est irremplaçable. Il est le complémentaire du télémaque et c’est pour cette raison que se dégage le sentiment de complétude. La réalisation est commune car le télémaque est le potentiel et le mentor le catalyseur. C’est ainsi qu’ensemble ils parviennent à la réalisation du potentiel.
En partageant un substrat commun à savoir le surdouement, le mentor et le télémaque créent l’impensable pour un spécialiste normal. En étant tous les deux dans le domaine de la différence, ils saisissent leur point commun. Alors que le spécialiste normal qui cherche la ressemblance ne trouve que la différence. Pour l’un, le repère essentiel est l’homme tandis que pour l’autre le repère incontournable est la société. C’est pour cela que la psychométrie en tant que science humaine n’est pas encore née. Elle ne représente pour le moment qu’un domaine d’étude et non une extension cognitive des droits de l’homme.