578 - La mémoire gravée
N. Lygeros
Traduit du Grec par l'auteur
Le soir précédent dans une petite taverne.
Alexandra
Ne t’assois pas en face de moi, s’il te plaît…
Georges
Je m’assierai où tu désires…
Il change de chaise.
Alexandra
Ici, près de moi…
Georges
Où que je sois, je serai toujours près de toi. Un temps.
Alexandra
Cet endroit c’est ma taverne préférée. Un temps. Tu es déjà venu ?
Georges
Dans cet endroit, oui… Mais c’est la première fois dans ta taverne préférée…
Alexandra
Tu es si doux…
Georges
J’aime les hommes, non les murs…
Alexandra
Et pourtant regarde ce mur… Elle lui montre un mur avec un dessin. J’étais là quand ils l’ont gravé.
Georges
Le dessin a blessé le mur…
Alexandra
Et l’humanité, le dessin.
Georges
Toute la passion en quelques lignes…
Alexandra
Toute la vie n’est-elle pas une ligne ?
Georges, en passant ses doigts sur ses sourcils.
Je veux te peindre avec ma vie…
Alexandra
Moi aussi je veux être ton oeuvre… Tes doigts sont si tendres avec moi.
Georges
Les seuls coups de pinceau que je connaisse ce sont les caresses.
Un garçon
Qu’allez-vous prendre ?
Georges
Une fe…
Alexandra, en rougissant.
Ne l’écoutez pas… Nous n’avons pas encore choisi…
Un garçon
Voulez-vous que je vous apporte quelque chose à boire ?
Chacun regarde l’autre dans les yeux.
Georges
Nous penserons à cela aussi…
Le garçon part.
Alexandra
Tu es incroyable… Un temps. Tout le monde me connaît ici…
Georges
Tout le monde t’a vue… Mais je suis le seul à te connaître… Les autres n’ont pas été blessés…
Alexandra
Je t’ai blessé, mon chéri ?
Georges
Non, mon amour… Silence. D’autres choses m’ont blessé…
Alexandra
Les cimetières vivants ?
Georges
Tu l’as ressenti…
Alexandra
Chaque fois que tu les vois…
Georges
Je dois les voir !
Alexandra
Mais ils te blessent tellement…
Georges
Chaque tombe est une église…
Alexandra
Mais toi, tu n’as qu’une seule bougie… Un temps. Combien peuvent pleurer les yeux ?
Georges
Malgré leurs larmes ils n’oublieront pas le regard de la petite…
Alexandra
Dans tes yeux je vois son regard cloué.
Georges
Tant de douleur dans un petit corps…
Alexandra
Sa douleur t’a crucifié. Un temps. Tu ne devais pas y aller seul.
Georges
Et elle, devait-elle être seule ? Un temps. Ils l’ont oubliée !
Alexandra
Mais toi, tu l’as en toi maintenant…
Georges
Elle voulait un autre destin !
Alexandra
Je veux que tu m’emmènes avec toi…
Georges
Dans les lieux de l’oubli et de la douleur ?
Alexandra
Ce ne sont plus des photos. Ils vivent en toi. Je veux qu’ils vivent aussi en moi.
Georges
Je ne veux pas que nous partagions les blessures…
Alexandra
Seulement c’est ma terre et ma blessure… Un temps. Je veux que nous partagions toutes les lignes de la vie…
Georges regarde le dessin du mur et lui prend la main.