323 - Echec aux rois
N. Lygeros
Dans son livre intitulé : Et le fou devient roi Kasparov accorde tout un chapitre à l’introduction des ordinateurs dans le monde échiquéen. le titre qu’il lui a donné est caractéristique de sa position puisqu’il s’agit de : Hommes contre machines. Sans vouloir jouer le rôle de prophète, il n’est pas moins certain de son jugement puisqu’il écrit “Et l’avenir des échecs ? On me demande souvent si un jour je me ferai battre par un ordinateur, j’affirme que non”. Pour affirmer cela il se base sur le pari victorieux de David Levy, ce maître écossais qu’aucun ordinateur ne put battre pendant 10 ans de 1978 à 1988. Il nous faut pourtant remarquer qu’il n’a pas voulu relancer son défi pour les 10 ans suivants … Kasparov rapporta une discussion entre Botvinik et Seminov. Ce dernier aurait dit au précédent : “Des êtres humains, par principe, ne peuvent pas de créer un automate plus intelligent que son créateur.” Et il avait reçu comme réponse :”Si un être humain est vraiment malin, son automate devrait être plus intelligent que son créateur”. Avant de parler de l’ordinateur, Kasparov met en évidence la liste des qualités indispensables aux schémas de haut niveau établis par trois psychologues soviétiques (N. Diakov, E. Petrovski et P. Rudik) en 1925. Pourtant a ces critères pour ainsi dire mécanistes, Kasparov, de son propre aveu, préfère la formation de Koestter : “Quand un joueur regarde l’échiquier, il ne voit pas une mosaïque immobile, une nature morte, mais un champ de forces magnétiques chargé d’énergie – de même que Faraday voyait les tensions, induites par les aimants et les courants comme des courbes dans l’espace, ou comme Van Gogh voyait des tourbillons dans le ciel de Provence.” Ensuite, après avoir vanté les méérites de l’ordinateur en tant que bibliothèques de parties, Kasparov revient à la charge en affirmant : “Mais, pour démler les complexités des échecs, la vitesse ne suffit pas. Comme l’ont vu les psychologues, le facteur crucial semble être la reconnaissance des structures et aucune machine ne peut encore rivaliser dans ce domaine avec les possibilités étonnantes de l’esprit humain.” Enfin, il achève sa critique de la manière suivante : “Un ordinateur a obtenu un classement ELO de 2300 points, ce qui est encore très loin de l’olympe des échecs. Je ne pense pas que ce sommet sera gravi par une machine de mon vivant, ni même jamais.” Il serait bien sûr aisé de critiquer cette position qui date de 1987 alors qu’à présent nous connaissons les résultats des matches : Kasparov – Deep Blue, Kasparov – Deeper Blue et Kramnik – Deep Fritz. Notre but n’est point là. Nous voulons juste indiquer de la manière aussi neutre que possible que nous vivons une époque où les certitudes échiquéennes ont été abolies. Le privilège du jugement certain n’existe plus. Nous traversons une période de transition. Dans l’histoire des échecs, seulement deux joueurs ont réussi à atteindre un classement ELO supérieur à 2800 points. Dans cette note, nous ne considérons cette donnée que comme historique sans vouloir provoquer une polémique avec le classement et le niveau de Fischer. Notre unique objectif est simplement de constater les difficultés de ces deux joueurs lorsqu’ils affrontent l’ordinateur. Aucun d’eux ne peut se prétendre imbattable désormais. Au grand dam des joueurs d’échecs classiques et de la cour des journalistes qui prétendent défendre l’intelligence humaine, le niveau des ordinateurs n’a pas fini de progresser. Et à la question de Kasparov : “Le monstre aurait-il détruit le jeu en le rendant prévisible, en lui ôtant son mystère ?” il est tout simplement inutile de répondre. Car la masse quantitative du monstre a déjà aliéné l’énergie qualitative du jeu. Car si l’ordinateur est dépourvu d’intelligence, il en est désormais de même pour le jeu d’échecs. Nous savions déjà que pour les humains, il n’existait pas de corrélation entre le quotient intellectuel et le classement ELO, désormais c’est une donnée élémentaire.