322 - De la transparence en tant qu’obstacle
N. Lygeros
Il est convenu de considérer la transparence comme un moyen d’accès direct à la connaissance. Ne comportant pas d’obstacle intrinsèque, la transparence des actes et des pensées semble la manière la plus ergonomique pour se déplacer dans le champ cognitif. Puisque la personne voit l’ensemble à considérer comment pourrait-elle ne pas comprendre ses parties ? L’ensemble de ces considérations pourrait n’être qu’un truisme pour celui qui n’a pas en mémoire la période de transparence (glasnost) en Union Soviétique et les déboires de Gorbatchev qui ont suivi. Comment expliquer ces évènements si nous considérons la transparence comme un phénomène simple ? En réalité, la transparence n’est simple que pour celui qui en discerne les caractéristiques, pour les autres elle est par définition transparente et donc invisible. Et en l’absence de structure, elle est considérée comme facilement compréhensible. Ce serait cependant oublier que la caractéristique principale de la stratégie c’est précisément la transparence des actions, l’invisibilité des pensées. Une stratégie visible est une stratégie prévisible et donc vouée à l’échec. Tout se joue dans la transparence et l’invisible. La transparence des actions représente donc un obstacle pour la pensée d’autrui aussi bien dans le sens négatif en tant qu’adversaire dans un conflit que dans le sens positif en tant que partenaire dans une relation humaine. Le problème intrinsèque provient du fait qu’il est difficile de porter un jugement sur un acte ou un comportement transparent. Par nature, il est difficilement appréhendable. Autant il est facile de se défendre devant une agression qu’il est difficile de répondre à un acte gratuit et désintéressé. Dans un monde dominé par la compétition comment analyser le comportement de l’altruiste ? Comment ne pas y chercher une raison cachée en dessous de cette surface transparente ? Est-ce une forme évoluée d’hypocrisie, comme un feu qui attire les êtres par sa lumière afin de les piéger ? Comment discerner ce que l’individu ne peut voir ? Comment avoir confiance sans savoir ? Nous retrouvons le même schéma mental en droit. Comment la cour doit-elle affronter l’innocence ? Pour le coupable, elle sait comment agir, du moins théoriquement, et à quel degré. Cependant comment faire face à l’innocence ou plus simplement encore au présumé innocent ? Comment accuser et condamner quelqu’un en l’absence de preuve de sa culpabilité. Nous voyons, à présent, via l’altruisme, la problématique que sous-tend la transparence dans le monde social. Ce dernier, conçu par la masse et pour la masse, est incapable d’étendre son domaine de validité à l’ensemble des singularités présentes en son sein. Comment gérer ces singularités qui ne sont rien pour la masse et qui sont tout pour l’humanité ? Sans elles, la masse serait à son image mais l’humanité n’aurait de sens. Il est clair désormais que la transparence comportementale des singularités, représente un véritable obstacle pour la majorité qui n’a pas l’habitude de ce type de rapport humain. La difficulté dans les rapports ne provient pas d’une raison cachée mais au contraire, en raison de la transparence, de l’absence apparente de raison. Sans raison apparente, le comportement singulier devient étrange et suspect car la transparence est un obstacle cognitif. L’homme ne voit que ce qu’il comprend aussi la singularité demeure invisible pour lui. Ainsi la nature même de la transparence engendre un mur d’incompréhension entre ceux qui sont seuls et ceux qui sont tous.