269 - Sur la codification de la complexité et la position de von Neumann
N. Lygeros
Dans son livre intitulé L’ordinateur et le cerveau, John von Neumann écrit l’idée suivante. Tout automate artificiel construit pour l’usage humain, et en particulier pour le contrôle de processus compliqués, possède normalement une partie, purement logique, et une partie arithmétique,c’est à dire une partie dans laquelle les processus arithmétiques ne jouent aucun rôle, et une partie où ils jouent un rôle important. Cela tient au fait que, étant donné nos modes de pensée et d’expression de la pensée, il est très difficile d’exprimer une situation réellement complexe sans recourir à des formules ou des nombres. Avant d’étudier plus profondément cette idée, il est important de noter l’usage des formes de von Neumann. Il utilise les expressions « très difficile » (qui sous-entend non impossible) et « réellement complexe » (qui évite une caractéristique explicite) ; De cette manière, il place son discours à l’abri de toute critique directe. Pourtant une critique de fond est possible.
Précisons le cadre avant d’établir une critique. En considérant les langues humaines du point de vue de la théorie de Chomsky i.e. comme des variations linguistiques d’un même thème cognitif, il est naturel d’étudier leur formation et celle de la pensée. Cette dernière représentant dans cette méthode, une vision universelle du monde, est susceptible d’être formalisée. Une formalisation de la pensée est possible à travers l’écriture compacte que représentent les mathématiques dans lesquelles nous pouvons distinguer les catégories de von Neumann, à savoir les entités logiques et les entités arithmétiques. Et à la suite des travaux de Gödel sur l’incomplétude, nous savons que nous ne pouvons restreindre les mathématiques à aucune de ces catégories. Aussi, même en formalisant toute la pensée humaine en termes mathématiques, sa résolution à un ensemble de formules est sans espoir.
Il est vrai que les mathématiques représentent par leur structure interne un cadre adéquat pour compactifier une pensée formalisable. Cependant, elles n’ont pas l’exclusivité de la complexité de la pensée. En effet, un autre pan de la pensée formelle est représenté par la philosophie. Il est bien sûr possible d’avancer l’argument que la formulation et la formalisation mathématique de la philosophie est théoriquement possible. Mais il est tout aussi clair que celles-ci ne sont ni effectives, ni pratiquement réalisables sur le plan humain. Car même si l’algorithme de transformation est conservable, il est difficile de démontrer sa terminaison. Aussi, la philosophie a le statut d’une pensée complexe non mathématisée. Mais avant d’analyser celle-ci, en tant que telle, il est nécessaire de dire un mot sur la pensée spatiale. Car son existence est incontestable, comme sa non réduction à l’arithmétique. De plus, sa complexité n’appartient pas non plus au cadre de la logique. Aussi elle n’appartient pas à la partition proposée par von Neumann. Nous avons donc mis en évidence, plusieurs modes de pensée qui ont la capacité d’exprimer la pensée complexe. Il s’agit de la logique, de l’arithmétique, de la géométrie et de la philosophie. Cette dernière qui semble moins formalisable, demeure la plus accessible du moins en apparence. En effet, la philosophie qui utilise l’expression formelle de la langue semble se confondre avec lui. Alors s’en réalité elle représente une étape intermédiaire entre le langage pur et la pensée pure puisqu’elle exprime la pensée abstraite à travers un langage formel. Cette caractérisation lui confère donc un statut original au sein des modes de pensée complexe. Elle est d’une certaine manière la plus humaine des formalisations de la pensé complexe, car en utilisant le langage naturel, elle représente la plus simple des codifications de la complexité.