224 - Notes didactiques sur la culture des théorèmes
N. Lygeros
Cette note a pour but d’analyser l’article de Paolo Boero, intitulé : entrer dans la culture des théorèmes à 12-14 ans : un défi pour la didactique des mathématiques, paru aux Actes du séminaire national de didactique des mathématiques au cours de l’année 2000, afin d’expliciter certains fondements structurels didactiques et cognitifs.Le point de vue de Paolo Boero est clairement défini par le paragraphe suivant. La démonstration demeure un des éléments les plus importants des mathématiques et de la culture mathématique. Exclure la démonstration de l’enseignement des mathématiques pour tous signifie donner une image fausse des mathématiques et soustraire aux gens une opportunité de faire l’expérience du côté théorique d’un savoir élaboré par l’humanité au cours de l’histoire.Il serait difficile pour nous de ne pas nous rallier à cette position qui est pour ainsi dire un truisme dans le cadre de l’enseignement universitaire. Il est vrai que la notion de démonstration a perdu de son importance dans le premier cycle mais la raison n’est pas d’ordre épistémologique. Ceci est simplement dû au fait que les nouveaux programmes considèrent qu’elle n’est pas naturelle pour les nouveaux étudiants. Cette réaction provient essentiellement de la critique du formalisme excessif. Néanmoins cette attitude est effectivement fallacieuse car elle incite à penser que la démonstration n’est pas un outil indispensable à l’enseignement. Nous pensons comme l’auteur que cela constitue une grave erreur de jugement. La démonstration est et sera le noyau fondamental des mathématiques. C’est uniquement elle qui leur donne leur puissance. La démonstration ne serait rien sans les mathématiques mais les mathématiques n’existeraient pas sans la notion de démonstration.L’auteur s’explique plus précisément en développant la notion de continuation entre énoncé et résultat via la démonstration. Entrer dans la culture des théorèmes pour les élèves signifie développer des compétences spécifiques inhérents à la production de conjectures et à la preuve de ces conjectures en prenant en compte des éléments des savoirs théoriques. On a besoin de passer par des analyses historico-épistémologiques et cognitives pour sélectionner les éléments spécifiques, essentiels, dans la production et la preuve des conjectures. On considère aussi qu’il y a un phénomène de continuité (possible) entre la production d’une conjecture et la construction de sa preuve et que ceci est un élément favorisant l’approche de la démonstration.Nous pensons que c’est effectivement le cas mais seulement dans les situations simples que l’on trouve dans l’enseignement élémentaire. Alors qu’il est clair que dans le cadre de la recherche, sans considérer nécessairement des exemples spécifiques comme le théorie des graphes, il n’est pas recommandé de défendre un tel point de vue. D’une part en raison de la difficulté à trouver un chemin plus ou moins direct entre l’énoncé et le résultat et d’autre part car à un niveau complexe bien souvent la démonstration est encore plus importante que le résultat. Par exemple, si nous considérons le théorème de la répartition des nombres premiers, il est clair que sa démonstration élémentaire par Erdös et Selberg nous apporte une compréhension plus profonde que celle de Hadamard et de la Vallée Poussin qui est basée sur l’analyse complexe.Un autre aspect important défendu par l’auteur concerne le problème du cognitif dans la didactique. Peut-on se passer de l’aspect cognitif dans un travail didactique sur l’approche scolaire des théorèmes ? Nous pensons que non, parce que l’analyse cognitive est nécessaire en particulier pour comprendre les processus mentaux à développer pour une participation productive des élèves au travail sur les théorèmes dans la classe.De nouveau, nous irons nous aussi dans le sens du choix de l’auteur même si son argumentation nous semble quelque peu faible. En effet nous pensons que l’aspect cognitif n’est pas juste un outil de compréhension des processus développés par l’élève mais qu’il s’agit au contraire d’un aspect fondamental de l’étude de la découverte d’une heuristique. Le point clef est le suivant. Comment enseigner une heuristique sans passer par la cognition ? En effet, il ne s’agit pas juste d’une méthode que l’on s’efforce d’appliquer par la suite dans des situations similaires. La manipulation d’une heuristique s’avère souvent délicate dans les faits car en pratique elle s’appuie sur des entités seulement analogues et non homologues. Aussi il est indispensable pour l’élève de savoir se situer dans un nouveau cadre pour comprendre s’il se trouve dans un champ de l’heuristique.Par ailleurs, Paolo Boero, afin de compléter son approche, adopte un point de vue holistique. Le choix qu’on a fait a été celui d’une approche holistique, en considérant la démonstration comme une partie importante du théorème et qui n’a pas de sens hors du théorème. La définition de théorème =( énoncé, démonstration, théorie de référence) (Mariotti et al, 1997) constitue le point de départ pour développer un discours didactique sur les théorèmes dans lequel trouve sa place la problématique de l’approche de la démonstration.Cette approche holistique représente un point crucial dans la nouvelle compréhension de la notion de démonstration contextualisée. En d’autres termes, la démonstration doit être vue comme le noyau de la cellule que représente le théorème. Elle n’a pas de sens en soi mais le théorème n’est pas viable sans elle. Aussi la séparation de ces notions est un non sens. Cette approche holistique permet de mettre en évidence la structure induite par le théorème qui devient alors un objet plus complexe. Ainsi le discours mathématique pourra s’appuyer sur cette structure pour se développer. Cela lui donne donc un sens naturel.De plus comme le rappelle l’auteur, l’opinion de certains mathématiciens d’aujourd’hui semble plutôt critique envers la réduction de la démonstration (comme processus ou comme produit) à un calcul dépourvu de toute référence sémantique (voir Thurston, 1994).Considérons cette idée comme un point initial au raisonnement suivant. Classiquement, la démonstration représente un schéma formel voir traditionnel dans lequel s’organisent les assertions qui sont ses composantes. Cette approche, uniquement syntaxique, n’est valable que dans des cas extrêmes comme le calcul des prédicats. Elle est dépourvue de tout aspect dynamique et ne donne aucun moyen de trouver un théorème s’il n’est pas connu avant l’effectuation de ce processus. Pour faire simple, nous pourrions dire que ce cas est visible dans la démonstration par récurrence qui n’est puissance que lorsque l’on connait le résultat à démontrer. Dans le cas générique la démonstration comporte dans sa propre structure un élément dynamique qui correspond à la sémantique de la démonstration et qui représente la trace laissée par l’heuristique adoptée. Cette dernière étant le résultat de l’application du méta (au sens de Robert et Robinet 1996). Par ce biais, nous montrons qu’une démonstration peut être analysée comme un assemblage de méta (choix méthodologique), d’heuristique (méthode), de sémantique (contexte) et de syntaxe (forme) dont les éléments sont de plus en plus accessibles.Se pose alors le problème de l’apprentissage via la compréhension de cet assemblage. Et l’auteur mentionne un problème spécifique. A propos des obstacles didactiques, il me semble que la pratique traditionnelle d’approche des théorèmes et de la démonstration par illustration du maître suivie de répétition de la part de l’élève soit contradictoire avec les buts d’une approche consciente et opérationelle des théorèmes.En fait, pour être plus précis, cette méthode serait justement applicable dans des cas où seule la syntaxe est nécessaire comme dans les démonstrations automatiques élémentaires. Mais dans le cas générique, il nous semble évident que la répétion n’est pas un outil adéquat pour l’élève. En effet la répétition, dans le meilleur des cas, car bien souvent elle engendre une forme de rejet de la part des élèves, ne peut servir qu’à l’apprentissage d’une méthode algorithmique qui s’appuie sur des données locales sans générer une compréhension globale. Grâce à la répétition l’élève sait ce qu’il doit faire mais ne sait pas pourquoi cela fonctionne.C’est pour cette raison que doit nécessairement exister un aspect dynamique dans l’approche de la démonstration d’un théorème. Il faut que les élèves puissent faire l’expérience directe d’un travail créatif, qui donne le sens (et le plaisir) d’une maîtrise par le raisonnement d’une situation complexe pour laquelle n’existent pas d’autres moyens accessibles d’arriver à une solution.Le point de vue dynamique dans le processus de découverte de la solution est semble-t-il fondamental si l’on désire obtenir des résolutions de problèmes non triviaux. Car il est le seul à permettre le développement d’une stratégie interactive via l’expérimentation de schémas mentauxqui offre la possibilité d’une abduction créative.Comme l’explicite l’auteur, à la fin de son article, quand l’unité cognitive se manifeste, elle concerne : les théories de référence et les arguments produits en phase de conjecture et reconsidérés en phase de démonstration comme éléments à enchaîner déductivement ; les représentations symboliques utilisées dans les deux phases ; les types d’explorations menées.Nous voyons ainsi que la notion de démonstration qui est finalement élémentaire lorsqu’elle est réduite à sa plus simple expression, est en réalité considérablement plus complexe du point de vue ontologique, une fois qu’elle est analysée dans le cadre d’une approche holistique et qu’elle nécessite alors la mise en évidence de l’apport cognitif pour être réellement comprise. Aussi nous allons bien dans le sens indiqué par Paolo Boero .. Il s’agit de comprendre et de développer une véritable culture des théorèmes.