82 - L’Hellénisme de la Macédoine d’Hélène Glykatzi. (trad. du grec) Bull. de la Soc. Hist. A. Soutsos, n3, 10/97.
Traduction de N. Lygeros
Juillet 1997
Le pouvoir multiple, c’est-à-dire la discorde politique, fait de la Grèce une proie facile pour ses ennemis, et ce, malgré la conscience de son unité qui régit le grec comme: «être de même sang, même langue, objets sacrés communs, mêmes coutumes». Cette constatation est due à Hérodote, et elle se réfère à une époque, les guerres médiques, où la Macédoine constitue les bornes extrêmes de l’Hellénisme compact.
Il faut attendre plus d’un millénaire, jusqu’à ce que l’Hellénisme, dans un nouveau cadre, trouve une union politique. Les solides articulations de l’Etat et la sève de l’organisation ecclésiastique de Byzance, assure la cohésion du monde polymorphe de l’Empire : ils donnent à l’Hellénisme la possibilité d’intégrer, grâce à sa suprématie intellectuelle et son armature culturelle, des peuples et des populations diverses qui habitent sur les territoires byzantins, et entre autres, la Macédoine qui est à présent une province centrale de l’empire polyethnique et œcuménique de Byzance.
La « sauvée de Dieu et gardienne des martyres », la « belle Thessalonique » devient rapidement le centre de ressort national, expression de la continuité de la civilisation et source de l’éclat intellectuel de l’Hellénisme dans les Balkans.
Aucun trucage de l’histoire, aucune tentative apparemment scientifique ne peut aujourd’hui ébranler la conviction que l’état est, comme dit Renan, la conscience de la solidarité qui unit ses membres. La conservation de l’unité nationale, poursuit Renan, se fonde sur des sacrifices communs, sur des intérêts communs, sur des buts communs, sur un passé commun et un futur commun, et cela indépendamment de tout critère biologique ou racial. Nous nommons Grecs, écrit déjà Isocrate, ceux qui ont «non pas la naissance mais la pensée», plutôt «ceux qui ont notre instruction ou nature commune».
Comme tout grand empire, l’empire byzantin multinational a trouvé sa cohésion grâce à la «pensée commune» de ses citoyens, il a fondé son unité sur le facteur culturel uni, sur l’accord général pour l’essentiel, qui dans Byzance se nomme orthodoxie, hellénisme et grécité: en leur sein et en leur lieu se développe la civilisation originale du premier empire européen du Moyen Age.
La christianisation (assure l’unité religieuse), l’hellénisation (assure l’unité linguistique) et la romanisation (assure l’unité sociale) sont les présupposés fondamentaux à l’entrée de personnes et de peuples dans la société byzantine. C’est par cette tentative à trois volets que passe la byzantinisation des étrangers qui se sont installés durant certaines périodes dans l’empire. C’est ce chemin qu’ont progressivement suivi les Slaves de Macédoine et du reste de la Grèce dans leur tentative d’acquérir des foyers avec une tradition culturelle et le cadre d’une société développée et d’une vie urbaine.
Il n’est bien sûr pas nécessaire d’insister sur le fait que malgré le bouleversement provoqué par les nombreuses attaques barbares et les invasions slaves, malgré la corruption et les mauvais traitements qu’ont subi les populations autochtones, les Grecs byzantins ont conservé leur vivacité, qui grâce à l’aide de Constantinople bien sûr, leur a permis d’assimiler les nouveaux arrivants. Ainsi les Slaves de Macédoine, les ex-envahisseurs farouches et sans pitié «adoptent la manière romaine de vivre», font campagne «contre les états qui combattent les Romains» et grâce au «baptême sacré» se conforment au «peuple chrétien» i.e. s’identifient avec les Byzantins.
C’est ce mécanisme d’intégration des populations étrangères par l’élément grec de la région, cet élargissement de la société byzantine, que j’ai tenté d’analyser à partir de toutes les sources que la science contemporaine met à la disposition des byzantinologues. Espérons qu’ainsi diminueront quelque peu les innombrables publications prétendument scientifiques qui, non seulement en Europe mais aussi au Japon et en Amérique latine, parlent encore de nos jours de la slavisation de la Grèce et particulièrement de la Macédoine. A la théorie de la slavisation il n’existe qu’une seule réponse scientifique: la byzantinisation, «notre glorieux byzantinisme», comme dirait Cavafy.