20 - Analyse de : Les Cavernes d’acier d’Isaac Asimov
N. Lygeros
Le lecteur traditionnel de Singularité (mais peut-on qualifier de traditionnel un individu dont l’attitude principale consiste à être ouvert à toute idée nouvelle ?) a pris l’habitude, dans une certaine mesure, de lire dans cette rubrique l’analyse d’un livre scientifique ; une seule exception le n°7.
Or que se passe-t-il à présent ? Il se trouve plongé en pleine science-fiction ! Bien sûr, se fit-il intérieurement, Isaac Asimov n’est pas le premier venu dans ce domaine, néanmoins quel intérêt cela peut-il représenter de faire figurer l’analyse de son livre Les Cavernes d’acier dans ce numéro ?
La réponse est en fait assez simple : la science n’est pas seulement constituée de conjectures que la réflexion transforme en résultats par l’intermédiaire de démonstrations, une part importante de sa structure dépend de l’imagination. Seule cette dernière est capable de générer une méthode efficace sur le plan heuristique qui permet la résolution d’un problème dont l’approche directe par un formalisme classique est impossible.
Or la science-fiction est un puissant moteur de l’imagination. Il est vrai que cette imagination débordante semble souvent être absolument délirante cependant ce serait une grande erreur de la réduire à cela. Je ne donnerai qu’un seul contre-exemple (pour ne pas entrer dans une polémique, qui elle n’a plus rien de scientifique) à l’opinion généralement admise en ce qui concerne la valeur de la science-fiction.
C’est A. Clarke qui a introduit pour la première fois dans la pensée humaine la notion de satellite géostationnaire que l’on appelle aussi, gentiment, “ange gardien” (car quelques-uns seulement suffisent pour contrôler tout l’espace circum-terrestre). Ces satellites en orbite à 36000 km ont la particularité de tourner autour de l’axe de la Terre à la même vitesse que celle-ci ; la conséquence principale de cette propriété pour un observateur terrestre est de les voir immobiles dans le ciel.
Cette superficielle justification (pour des puristes) terminée, à présent nous pouvons procéder à l’analyse proprement dite.
Bien que l’intrigue policière soit bien menée, et soit digne d’intérêt sur le plan de l’énigme, je la considère en fait comme absolument secondaire devant les idées d’Asimov, cet homme de 71 ans à présent, que l’on considère à juste titre comme le père de la philosophie qui traite des robots (c’est d’ailleurs lui qui a forgé le terme de robotique), et qui a touché de ses habiles doigts d’écrivain nombre des problèmes fondamentaux de l’humanité.
Les cavernes d’acier sont les villes souterraines du futur. Déjà nos centres commerciaux actuels donnent une image très réaliste de cette extrapolation. Selon l’histoire de l’auteur la notion d’espace fonctionnel est devenue fondamentale dans la vie des hommes du futur ; un futur pas si lointain même si l’auteur nous offre des exemples poignants de cette mentalité poussée jusqu’à ses dernières extrémités.
La dépendance des hommes à une infrastructure quasi-planétaire extrêmement complexe leur fait perdre ostensiblement tout goût pour l’aventure spatiale. Ils ont totalement perdu le sentiment de leurs ancêtres qui ont créé les mondes spaciens, ils en sont même arrivés au stade d’avoir un complexe d’infériorité envers ces habitants spaciens qui ne sont en fait que les descendants de leurs propres ancêtres.
“Ces ancêtres avaient d’abord atteint les Mondes Extérieurs, s’y étaient confortablement installés, et leurs descendants avaient totalement interdit toute immigration. Ils avaient, en quelque sorte, encagé la Terre et leurs cousins Terriens. Et la civilisation de la Terre avait achevé le travail en emprisonnant les hommes à l’intérieur des villes par une muraille psychologique : la peur des grands espaces vides qui les séparaient des fermes et des zones minières, dirigées par les robots, sur leur propre planète : même de cet espace-là, ils avaient peur !”
“Nos sociologues ont atteint plusieurs conclusions sur l’état actuel de la situation galactique. D’un côté, les Mondes Extérieurs, sous-peuplés, hyper-robotisés, puissants, dont les habitants jouissent d’une parfaite santé et d’une longévité extrêmement poussée. De l’autre, nous, surpeuplés, sous-développés du point de vue technologique, tôt décédés, à leur merci. C’est une situation particulièrement instable.”
“Avec le temps cette instabilité va s’accentuer. Le maximum de temps dont nous disposons avant le conflit est au mieux un siècle. Bien sûr, tout cela se passera après nous ; nous n’y serons plus ; nos enfants, eux, seront en plein coeur de l’affaire. Car nous deviendront forcément un danger trop tangible pour que les Mondes Extérieurs nous laissent vivre.”
“Ils nous ont relégués hors de la Galaxie ; ils traitent toutes nos affaires de commerce extérieur à leur prix, nous imposent un système de gouvernement, au lieu de nous laisser faire à notre gré, et en plus ils n’ont que mépris pour nous.”
“Tout ceci est exact et un schéma s’en dégage. Révolte, d’où répression, d’où re-révolte ! Nouvelle répression, etc., et, en l’espace d’un siècle, la terre ne figurera plus parmi les mondes habités.”
Les spaciens dont la durée de vie a considérablement augmenté sont eux-mêmes de plus en plus réticents envers tout risque qui pourrait donc mettre en péril leurs précieuses vies.
L'”artificielle” jonction entre ces deux genres d’humains est le robot. Ces robots mal acceptés par les terriens qui ont peur d’être remplacés par ces “froides mécaniques” dans leur profession et utilisés en abondance par les Spaciens, sont structurés à partir des 3 lois de la Robotique.
Première loi : “Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.”
Deuxième loi : “Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première loi.”
Troisième loi : “Un robot se doit de protéger son existence dans la mesure où cette protection n’est pas en contradiction avec la Première loi ou la Deuxième loi.”
Ces trois lois fondamentales furent énoncées pour la première fois par I. Asimov dans son livres Les Robots, et furent étudiées en détail dans Un Défilé de robots.
Mais cela suffit ! À présent place à la lecture. Une dernière information toutefois pour les lecteurs qui seront enthousiasmés par ce livres. Les livres : Face aux feux du soleil, Les Robots de l’aube, Les Robots et l’Empire (lisibles indépendamment les uns des autres) approfondissent chacun à leur tour et dans cet ordre bien défini le thème du rôle du Robot dans la civilisation Humaine.