6033 - Sur la beauté de l’Arménité
N. Lygeros
Nous discutons bien souvent de la nature de l’Arménité afin d’identifier ce qui semble une abstraction. Cette nature est naturellement reliée aux droits de l’homme en raison de l’existence du génocide. Cependant nous insistons rarement sur la notion de beauté de l’Arménité. Est-ce un oubli de notre part comme si cela allait de soi ou est-ce volontaire ? Dans le cadre du génocide de la mémoire, il est évident que cet oubli ne doit pas être considéré comme un détail mais aussi comme un indice. Il est plus facile de comprendre l’acte de la barbarie en mettant en évidence la beauté de la civilisation. La société de l’oubli et de l’indifférence n’en a que faire. Voilà un argument de poids pour en parler. La beauté semble subjective mais elle a un statut universel du point de vue philosophique. Cette beauté associée à la civilisation ne correspond en rien à l’idée des bourreaux ainsi que l’ont conçue le nazisme, le stalinisme et le kémalisme. Cette beauté n’est pas un idéal artificiel mais une réalité factuelle. Aussi elle représente donc une résistance naturelle à l’encontre du système. De plus sa différence fait la différence dans un monde où tout doit être identique, non pas en raison d’un principe égalitaire mais par la volonté de nivellement qui n’admet aucune divergence par rapport à la norme établie par la société qui détient le contrôle du présent. La beauté de l’Arménité n’est pas une vue de l’esprit. L’examen de quelques khatchkars suffit pour se rendre compte de la délicatesse de cette dentelle de pierre qui orne de manière unique chaque croix. Cette synthèse votive n’est pas un cas extrême. En réalité, c’est l’indice le plus précieux que nous possédons dans l’étude des civilisations anciennes. Aussi ce n’est pas par hasard que nous voyons la destruction systématique de cimetières arméniens anciens. Il ne s’agit pas seulement pour la barbarie de détruire un peuple et une civilisation mais aussi sa beauté qui est un don pour l’humanité à travers le temps. Une civilisation n’est pas seulement une cible de la barbarie en raison d’un racisme primaire mais aussi d’un complexe d’infériorité. Dans les cas mentionnés, comme l’histoire le prouve, la cible du pouvoir du système, n’était pas seulement le peuple mais aussi son art. Or cet art n’a pas été systématiquement détruit comme dans le cas des livres avec les autodafés mais bien souvent conservé pour être échangé et même volé par d’autres comme dans le cas des œuvres qualifiées de juives. Cette ressemblance n’est pas uniquement formelle. Dans ces cas, il s’agit bien d’une beauté qui dérange le système de la barbarie. C’est en ce sens qu’il est nécessaire de la mettre en exergue pour comprendre l’indicible et l’imprescriptible.