5672 - Sur la Convention de Montreux
Ν. Lygeros
L’objectif de la Convention concernant le régime des détroits signée à Montreux, le 20 juillet 1936, c’est la substitution de celle-ci à la Convention signée à Lausanne le 24 juillet 1923. Cette convention est signée dans l’ordre indiqué par le Préambule par la Bulgarie, la France, le Royaume-Uni, la Grèce, le Japon, la Roumanie, la Turquie, l’Union Soviétique et la Yougoslavie.
L’article premier est le suivant :
« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent et affirment le principe de la liberté de passage et de navigation par mer dans les Détroits.
L’usage de ladite liberté est dorénavant réglé par les dispositions de la présente Convention. »
Cet article, comme nous le verrons par la suite est fondamental car c’est le seul selon les termes de cette Convention qui soit diachronique.
Dans la section I, intitulée Navires de commerce, nous trouvons les Articles 4, 5, 6 qui déterminent le cadre de l’action de la Turquie selon le critère de la guerre, à savoir, si elle est belligérante ou pas et si elle s’estime en danger de guerre.
Même si le terme de remilitarisation n’est pas clairement indiqué à ce niveau de la Convention, il est clair que les Parties contractantes ont raisonné dans ce cadre spécifique qui remet en cause et ce, de manière fondamentale, le traité de Lausanne. Examinons donc ces articles.
Article 4 :
« En temps de guerre, la Turquie n’étant pas belligérante, les navires de commerce, quels que soient le pavillon et le chargement, jouiront de la liberté de passage et de navigation dans les Détroits dans les conditions prévues aux articles 2 et 3. »
L’article 2 concerne la taxe et l’article 3, la santé. Il s’agit donc avant tout de formalités qui touchent essentiellement à la logistique. Tandis que l’article 4 est clairement d’ordre politique et il impose une neutralité qui n’est pas sans conséquence sur le plan tactique pour les parties en guerre.
Article 5 :
« En temps de guerre, la Turquie étant belligérante, les navires de commerce n’appartenant pas à un pays en guerre avec la Turquie jouiront de la liberté de passage et de navigation dans les Détroits à condition de n’assister en aucune façon l’ennemi. »
Dans ce premier paragraphe, il est possible de voir la volonté des Grandes Puissances de sauvegarder une forme d’indépendance quant à la navigation des navires de commerce. Seulement si nous nous contentons de cette interprétation, nous ne pourrons saisir l’ensemble des répercussions de ce changement de phase. Pourtant une indication permet de lever le voile sur cette étrangeté. En effet, la précision sur les conditions de l’assistanat, laisse une large marge de manœuvre pour la Turquie quant à l’interprétation de la notion d’ennemi.
Le second paragraphe est de nature formelle mais il est nécessaire de l’indiquer pour être complet.
« Ces navires entreront de jour dans les Détroits et le passage devra s’effectuer par la route qui sera, dans chaque cas, indiquée par les autorités turques. »
Sur le plan de l’interprétation, l’article 6 nécessite une exégèse encore plus fine.
Article 6 :
« Au cas où la Turquie s’estimerait menacée d’un danger de guerre imminent, il continuerait néanmoins à être fait application des dispositions de l’article 2, sauf que les navires devraient entrer de jour dans les Détroits et que le passage devrait s’effectuer par la route indiquée, dans chaque cas, par les autorités turques.
Le pilotage pourrait, dans ce cas, être rendu obligatoire mais sans rétribution. »
Cela signifie en d’autres termes, que la route peut être forcée mais dans le cas où la guerre n’existe pas en tant que telle mais seulement de manière virtuelle. Cela prouve que cette Convention permet à la Turquie de reprendre le contrôle de manière plus efficace quant aux passages dans les Détroits.
Dans la Section II, intitulée les Bâtiments de guerre, nous voyons le renforcement des conditions de passage avec les articles 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 et 22.
C’est la section la plus importante en termes d’articles mais aussi de taille. Elle est particulièrement axée sur la pertinence de l’article et c’est pour cette raison que nous l’indiquons dans son intégralité afin d’y découvrir ses détails.
Article 13 :
« Pour le passage dans les Détroits des bâtiments de guerre, un préavis devra être donné au Gouvernement turc par la voie diplomatique. La durée normale du préavis sera de huit jours ; mais il est désirable que, pour les Puissances non riveraines de la Mer Noire, elle soit portée à quinze jours. Il sera indiqué dans le préavis la destination, le nom, le type et le nombre des bâtiments ainsi que la date de passage pour l’aller et s’il y a lieu pour le retour. Tout changement de date devra faire l’objet d’un préavis de trois jours.
L’entrée dans les Détroits pour le passage d’aller devra avoir lieu dans un délai de cinq jours à partir de la date indiquée dans le préavis initial. Après l’expiration de ce délai, il devra être donné un nouveau préavis, dans les mêmes conditions que pour le préavis initial.
Lors du passage, le commandant de la force navale communiquera, sans avoir à s’arrêter, à une station de signaux à l’entrée des Dardanelles ou du Bosphore, la composition exacte de la force se trouvant sous ses ordres. »
Il est intéressant de remarquer l’interdiction suivante :
Article 15 :
« Les bâtiments de guerre en transit dans les Détroits ne peuvent, en aucun cas, utiliser leurs aéronefs, dont ils seraient porteurs. »
Déjà à cette époque, l’accès à la troisième dimension est considérée comme fondamental. Son interdiction engendre une simplification quant au contrôle et à la sécurité.
Cette idée est renforcée par l’article 20 qui fonctionne comme mesure de sécurité.
Article 20 :
« En temps de guerre, la Turquie étant belligérante, les dispositifs des articles 10 à 18 ne seront pas applicables ; le passage des bâtiments de guerre sera entièrement laissé à la discrétion du Gouvernement turc. »
En cas de doute, cette application est autorisée aussi par le premier paragraphe de l’article 21 même en dehors de la condition de guerre.
Article 21 :
« Au cas où la Turquie s’estimerait menacée d’un danger de guerre imminent, elle aurait le droit d’appliquer les dispositions de l’article 20 de la présente Convention. »
L’ensemble de ces articles, une fois combinés entre eux, dévoile la vraie nature de cette Convention qui se veut officiellement conventionnelle et consensuelle.
La Section III n’est constituée que de l’article 23. Cependant la première phrase de son second paragraphe comporte un détail d’ordre linguistique qui a des conséquences stratégiques.
Article 23 :
[…] D’autre part, nonobstant la remilitarisation des Détroits, le Gouvernement turc fournira les facilités nécessaires pour le passage en toute sécurité des aéronefs civils autorisés d’après la réglementation aérienne en vigueur en Turquie à survoler le territoire turc entre l’Europe et l’Asie. […]
La section IV, intitulée Dispositions Générales n’a que deux articles à savoir les articles 24 et 25. Dans le premier paragraphe du premier, nous découvrons cette précision lourde de conséquences.
Article 24 :
« Les attributions de la Commission internationale constituée en vertu de la Convention concernant le régime des Détroits en date du 24 juillet 1923 sont transférées « au Gouvernement turc. […] »
Cela prouve que la modification de la Convention incluse dans le traité de Lausanne n’est pas mineure et va bien dans le sens de la Turquie.
Enfin dans la Section V, intitulée dispositions finales, nous trouvons l’article 28 qui est sans doute le plus curieux puisqu’il donne une durée de validité de cette Convention de Montreux.
Article 28 :
« La présente Convention aura une durée de vingt ans à dater de son entrée en vigueur.
Toutefois le principe de la liberté de passage et de navigation affirmé à l’article premier de la présente Convention aura une durée illimitée. […] »
L’ensemble de cette étude montre l’importance non seulement de la Convention de Montreux, du point de vue temporel mais aussi de sa capacité à modifier une Convention signée dans le Traité de Lausanne qui ne doit pas être considéré comme quelque chose d’éternel qui ne peut être remis en cause dans de nouvelles négociations.