Télégramme S.E. le Premier Plénipotentiaire à S.A le Grand Vezir Berlin, le 15 Juin 1878. N°7. | Je viens de voir la lettre de C. Je lui exprimai votre reconnaissance. Après m’avoir complimenté personnellement, il me dit que comme il me connaissait il lui semblait nécessaire de me développer ses idées en général. J’appartiens dit-il aux hommes qui croient à la nécessité de maintenir le pouvoir Musulman, actuellement existant à Constantinople. Lorsque la guerre commença, j’ étais convaincu que la Turquie aurait eu la victoire pour elle car je connaissais exactement la situation des deux parties. Si la Turquie a été vaincue, elle l’ a été par l’incapacité des hommes que l’intrigue avait placés à la tête de ses armées. Si, comme cela était très naturel, vous aviez tenu quelque tems à Andrinople l’Angleterre serait venue militairement à votre aide. J’avais tout combiné pour cela ; malheureusement, les choses se sont passées tout à-fait autrement, et vous avez signé le traité de S. Stéfano. | |
La Russie nous a proposé l’Egypte, elle a ajouté ensuite la Syrie, enfin pour se débarrasser de notre opposition elle nous à invités à formuler les autres demandes que nous pourrions avoir en tête. Nous avons tout refusé. | Notre refus a amené le Congrès. Nous ne sommes pas partie signataire du traité ; si nous nous raidissons trop on pourra nous dire eh bien, vous n’avez qu’à sortir du Congrès ; nous sortirons et alors ce sera le chaos – Voici mainte- nant mes idées. Nous tiendrons pour la ligne des Balkans ; on nous a proposé au nord des Balkans une Bulgarie indépen- dante et tributaire, au sud des Balkans une Bulgarie dépen- dante et tributaire, au sud des balkans une bulgarie dépen- dante du Sultan et tributaire. la question des détroits restant comme elle l’était avant, c-à-d avec le Sultan comme maître. Voilà tout, il n’y a pas eu autre chose ; maintenant un prince indépendant et tribu- taire, cela veut dire que vous n’ aurez jamais un sou ; mais qu’est ce qu’une Bulgarie du sud dépendante et tributaire ? pour cette Bulgarie du Sud aussi nous voulons maintenir le pouvoir politique et militaire du Sultan, les Russes ne veulent pas que vos troupes puissent | |
| entrer dans la Bulgarie du Sud. Moi je veux que cette partie nous reste comme toutes les autres, que le Sultan les gouverne toutes avec des institutions améliorées : tâchez de vous arranger avec l’Autriche pour ce qui est de la Bosnie et de l’herzégovine vous êtes au courant de cette affaire ; En Asie on ne peut insister sur le retour de Kars, Batoum non plus n’a pas une grande importance pour vous, mais les Russes ne font pas difficulté pour vous rendre Bayezid. Je com- prends que vous ne pouvez être tranquille de ce côté, alors voici ce que nous devrions faire : conclure un traité d’alliance offensive et défensive pour l’Asie ; cette alliance vous procurera une grande sécurité, elle sera la source d’une nouvelle pros- périté pour votre pays – Je vous ai dit mes idées et mon plan expliquez-vous. Je répondis dans les termes suivans – La ligne des Balkans comme limite est absolument nécessaire à l’Empire pour vivre. Le terrain sur lequel nous nous plaçons c’est la nécessité de continuer à exister, | |
| et par conséquent nous croyons pouvoir insister sur ce point. J’ai ajouté plusieurs arguments historiques prouvant la nécessité de conserver les Balkans pour la sécurité de Constantinople. et je démontrai que toute la faiblesse de l’Empire Byzantin est venue de ce que l’on n’avait pas compris l’importance stratégique de ces montagnes. L’hypothèse de la délimitation par les Balkans, conti- nuai-je, amène deux autres questions celle de savoir ce que l’on fera au Nord et au Sud de ces montagnes – Au nord nous avons absolument besoin de conserver Varna avec le terri- toire adjacent (Je développai sur ce point différens arguments) et puis il y a à se demander quelle sera l’organisation de la Bulgarie. Le traité de S. Stefano parle de vassalité, je ne puis comprendre ce que ce mot signifie, la vassalité est un terme de moyen âge, il fau- drait l’expliquer d’une manière | |
n’oubliez pas que la Principauté Bulgare du Nord des Balkans ne sera jamais réellement indépendante elle sera tout-à-fait sous l’ influence de la Russie. Aussi je pense qu’il vaudra mieux fixer des relations avec la Porte par décision du Congrès. | qu’on puisse l’entendre clairement ; mais enfin si Varna nous est laissé et si la ligne des Balkans est admise on verra ce qu’il y a à faire pour éviter ses difficultés. L’Allemagne nous présente le spectacle non pas seulement de princes mais de rois et de souverains indépendans qui grâce à des stipulations nettes et précises sont retenus dans la sphère d’ action de la Prusse sans être ses vassaux. Quand au Sud des Balkans je ne puis pas admettre qu’il puisse constituer une Bulgarie du Sud, ce pays n’est pas Bulgare, (la lettre C m’interrompit pour me dire que la lettre F lui avait fait la même observa- tion et que l’expression dont il s’était servi était en effet inexacte) ; nous ne saurions non plus concevoir que les Russes sortant de ce pays, le Sultan ne puisse y faire entrer ses troupes ni exercer l’autorité politique. La Turquie ne gagnerait rien à un pareil arrangement ; dans un avenir très prochain nous arriverions | |
| à une situation comme celle du traité de S. Stefano ou pire encore. Non il faut que ces pays fassent partie de la Turquie. Quant aux améliorations de régime à introduire ou discuter cela plus tard, l’essentiel est de ne pas laisser de doute quant au principe. Pour ce qui est de l’Autriche nous apprécions tout le prix de son appui soit dans le Congrès, soit pour ce qui concerne la marche des choses en Bosnie et en herzégovine. Mais d’abord l’Autriche autant que j’ai compris nous fait entrevoir seulement des perspectives d’appui, et en revanche elle nous demande quelque chose d’immédiat sans vouloir s’engager. L’acceptation d’une pareille proposition qui aurait des conséquences immédiates affaiblirait l’autorité du Gt à Constantinople. L’opinion publique qui est très nerveuse (et cela est tout naturel après tant d’ épreuves) et qui n’est pas au courant des procédés | |
| diplomatiques, pourrait s’effrayer en voyant que pendant que les Russes sont devant Constan- tinople et que le Congrès dont on attend tant de bien, vient à peine de commencer les Autrichiens entrent en Bosnie et en herzégovine pour occuper ces provinces avec le consentement du Gt, et cela sans que celui- ci ait pris la moindre garantie j’allais continuer lorsque la lettre C m’interrompit en me disant eh bien avez-vous vu mon collègue, allez le voir je vous prie tout de suite, dites lui tout cela et que vous m’avez vu ; vous le trouverez bien changé dans ses opinions. J’étais bien aise de cette interruption qui m’apprenait que sur ce point les opinions des deux plénipotentiaires n’ étaient pas tout-à-fait d’accord et qui me dispensait de répondre sur la question de l’alliance offensive et défensive pour les provinces d’Asie me hâtai de quitter son Excellence. | |
| qui en m’éconduisant revint sur le projet d’alliance, en ajoutant que tous les gouvernements Eu- ropéens étaient de nouveaux gouvernements, l’Allemagne la France, l’Italie, l’Autriche, qui n’avaient pas encore donné des preuves de leur capacité à résister aux grandes épreuves, et que si cette fois la guerre éclatait tous seraient détruits à l’ exception de l’Angleterre. Je vis immédiatement après son collègue. Il me dit sur la question de la retraite des troupes Russes que j’ai soulevée à la première séance je pense ne pas revenir parce qu’il semble que la lettre A nous ait donné tout, en ce sens du moins qu’elle pense que ce n’était pas là l’affaire du Congrès dans ce moment j’ai été obligé aussi de faire la proposition de l’admission | |
| de la Grèce parce que nous étions liés par des promesses for- melles de Lord Derby. Nous verrons ce que le Congrès décidera. Il ne paraît pas possible de conserver à la Turquie les forteresses du Danube. Pourtant en ce qui concerne Varna, les considérations que vous me présentez sont vraies et peut-être qu’en donnant quelque chose du côté de Sofia nous y arriverons. Dans notre idée le tribut de la Principauté Bulgare au nord des Balkans devra être donné à la Russie pour paiement de l’indemnité de guerre, à laquelle vous ne pouvez consacrer un centime. Si ce tribut constitue un lourd poids pour la Bulgarie tant mieux, les Bulgares apprécieront les bienfaits de leur protecteur. Nous maintiendrons fermement la ligne des Balkans, et le maintien du pouvoir effectif du Sultan sous le rapport militaire et politique (mais politique dans le sens Anglais du mot qui ne veut pas dire arbitraire) sur la partie Sud. Pour cela nous ferons la guerre quoi qu’il advienne. Quant à la Bosnie et l’herzégovine, l’Au- triche veut les occuper pour toujours, c’est un sacrifice un grand sacrifice. Je comprends combien cela vous est dur mais pour vous l’essentiel c’est de | |
| vous débarrasser des Russes au Sud des Balkans, dont on formera une province de Roumélie, gou- vernée à très peu près confor- mément à la Loi des Vilayets avec un ou deux gouverneurs nommés pour un temps déter- miné. Voilà tout. Maintenant c’est dur d’avoir l’air de demander l’entrée des Autri- chiens lorsque vous connaissez le résultat d’avance ; mais nous autres nous parlerons seulement du Monténégro et de la Serbie, nous ne ferons pas de cela un casus belli, quel- que défectueux que soit le tracé des nouvelles frontières. En politique, on agit donnant donnant, eh bien l’Autriche vous offre en revanche une alliance offensive et défensive pour vos provinces de la Turquie d’Europe. En Asie Bayazid vous sera rendu, ce que vous me dites pour Batoum me donne à réfléchir, mais vous savez que si je peux vous dire une chose je vous la dis, eh bien pour l’Asie je ne puis pas parler pour le moment. Nous en causerons une autre fois. Je vis la lettre F. Il me tint | |
| un très long discours, dans lequel il développa aussi toute l’opposi- tion qu’il fit à l’idée d’Ignatieff de partager la Bulgarie, en Bulgarie du Nord ou Bulgarie du Sud, ce qui aurait amené dans deux ou trois ans infaillible- ment l’union comme cela est arrivé pour les principautés Roumaines – après de longs détours, des digressions répétées sur le mauvais état de nos admi- nistrations qu’il avait constaté de ses propres yeux, sur la négligence que nous mettons à développer nos immenses ressources en Asie, il parla en termes très vagues du Monténégro et de la Serbie, des dangers de la pensée Panslaviste essayant toujours de me faire parler le premier, enfin il me demanda si j’avais des nouvelles du Conseil de Ministres de Mercredi, car lui à ce qu’il disait ne recevait rien de Zichy. Je lui répondis en homme qui ne voulait pas s’engager sur un terrain très délicat. Alors il me dit, je dois régler mon attitude sur la vôtre, vous avez | |
| sans doute causé avec les Anglais, faites comprendre à Constantinople je vous prie que les momens sont très précieux et que je dois être fixé, le plus tôt possible. Plus de franchise serait plus utile. A propos je viens de recevoir des pétitions des environs de Choumma de la part d’un grand nombre d’habitans qui ne désirent pas devenir Bulgares. De pareils documens sont précieux il faudrait les montrer au Congrès. – Il me revient de source certaine mais indirecte, que l’Angleterre tâchera de ne pas parler de l’Asie dans le Congrès. Je rattache cette idée au plan d’alliance offensive et défensive pour l’Asie dont il a été question ci-dessus. On m’assure aussi que la lettre D a un plan tout prêt pour l’administration | |
| des provinces du Sud des Balkans, calqué sur la Loi des Vilayets mais amplement modifiée. – Je supplie V. A. de me faire parvenir ses idées sur la ligne de conduite que nous devons tenir, le plus tôt possible. On travaille ici dans tous les sens avec une rapidité et une activité fiévreuse.pour le chiffre H. Odian | |