I De même que le Digeste Romain se compose bien moins d’une série méthodique de lois rendues au nom du peuple conquérant, que d’une juxtaposition des différents extraits d’ouvrages que des jurisconsultes Romains ont rédigés à diverses époques concernant les droits de leur patrie, de même aussi ce qu’on appelle le droit Musulman est bien moins un ensemble de [de] décrets émanés des Khaliphes quibus permissum erat jure condere, que le résultat des é- laborations successives des docteurs en loi et en religion, utriusque juris qui commen- cent dès le 2e siècle de l’hégire et se perpétuent depuis lors dans | | |
tout le cours de l’histoire de l’Is- lamisme. À quelle origine faut- il ramener cette apparition dans le Musulmanisme d’une exé- gèse du droit qui sous le prétexte d‘interpréter les paroles du prophète aboutit à la création de tout un cours de droit ? Les savants Orien- taux sont dans l’habitude de consi- dérer comme sciences spontanées du génie des Arabes la science de la grammaire et la science du droit. Peut-être ces deux sciences qui ont été poussées chez les Arabes à un haut degré de perfectionnement ne sont-elles pas aussi spontanées qu’on veut le dire. Mais c’est là un thème de recherches qui est en dehors de notre sujet. Conten- tons-nous par conséquent de constater ici que dès le second siècle de l’hégire des hommes d’un esprit fin et méthodique ont cherché à élever sur la base du Coran et de la tradition orale du prophète un | | |
système de droit religieux et civil à la fois, que ceux qui sont venus après eux ont élargi la base de leurs raisonnemen[t]s en créant le com- mentaire du commentaire et en inter- calant habilement leurs opinions et leurs sentences à celles de leurs prédécesseurs, qu’il en a été de même de ceux qui les ont suivis, et que c’est ainsi que s’est élevé l’édifice imposant du chériat Musulman lequel confondant dans un même tout le précepte divin et le commandement civil corres- pond beaucoup plus exactement que le droit Romain à la célèbre définition d’Ulpien « Jurispru- dentia est divinarum atque humanarum rerum notitia, justi atque injusti scientia ». L’immense extension de cette littérature canonico-juri- dique rendait de temps à autre indispensable la rédaction de résumés de la doctrine. Parmi | | |
(1) Molla Chosrew était grec de naissance .v. hammer histoire. Livre XVIII in fin. et id. Des osin. Reiches Staats- verfassung. T.I p9. Cf. aussi Flügel. Die classen der handfitischen Rechsgelehr- ten Leipzig. 1860 p 341-2 Le savant mourut en l’an 1480. (2) Par allusion aux différentes doctrines et au grand travail que leur condensation a exigé Une figure analogue se trouve dans le procemi- um des institutiones où Jus- tinien dit « terre nostram ex- tendimus curam ad immen- sa veteris prudentiae volu- mina ; et opus desperatum, quasi per medium profun- dum enutes celesti favore jam adimplevimus. » Ibrahim halabi mourut à Constantinople l’an 1549. | le grand nombre d’ouvrages de ce genre qu’on peut citer, il y en a deux surtout qui à raison des circonstances dans lesquelles ils ont été rédigés, jouissent d’une réputation hors ligne et passent pour avoir le plus fidèlement rendu l’esprit et la doc- trine du droit Musulman. Le premier c’est le Durreroul hukkiam (les Perles des juges, en guise de commentaire d’un autre ouvrage intitulé Ghoureroul ahkiam = les points lumineux des décisions juridiques) du célè- bre Molla Khosrem grand juge du Sultan Mehmet II le conqué- rant (1), le second est le Moulhe– Ka-oul-oubhour = Confluent des mers (2) du Chéikh Ibrahim Halebi sous le Sultan Suléiman auquel les Ottomans donnent le surnom de Législateur (el-canon- ni) et que l’Europe connaît sous le titre pompeux de Magnifique. | |
(1) Le texte original de ces deux ouvrages est en Arabe. | Le Durper(1) jouit plus particulière- ment d’une grande considération dans les pays Musulmans qui se trouvent en dehors de l’influence politique de Constantinople, tandis que le Moulteka, beaucoup plus mé- thodique et plus complet est, traduit en Turc vers la fin du 17e siècle est surtout populaire parmi les juristes ottomans. Tous les deux se rappor- tent par la date de leur rédaction à une époque postérieure à la prise de Constantinople. Mais comme ils ne font que résumer la doctrine antérieure , la doctrine qui avait pris racine dans le droit Musulman déjà sous les Abbassides, ils peuvent à bon droit être pris comme guides pour la période dont nous nous occupons. Or dans ces traités rédigés dans un système de codification, très remarquable pour l’époque, nous trouvons plusieurs dispositions relatives au droit inter- national et qui sont d’autant plus. | |
v et où nous avons essayé de condenser quelques unes des principales dispositions de droit international Musulman d’après le Durper et le Mulheka x et de l’habitude | dignes de fixer l’attention, que tout en n’étant que la conséquence de tout le travail historique des temps qui se sont écoulés depuis l’hégire jusqu’ à la prise de Constantinople, elles s’y trouvent représentées comme autant de principes innés du droit Musulman. Celui-ci en effet aux yeux des fidèles n’a pour ainsi dire pas d’histoire. Ce qui en fait le mérite et ce qui le dispense de la nécessité de toute sanction autoritaire et formelle, c’est qu’il n’est qu’une dé- rivation immédiate du livre sacré de la révélation divine, et que théori- quement du moins il s’y résume et s’y ramène tout entier.Il n’y a là pourtant, on le comprend bien, qu’ une fiction. Et en lisant ce qui va suivre v, le lecteur ne devra pas ou- blier qu’il n’a pas sous les yeux des préceptes Coraniques, mais bien des regula juris, que la force des choses x a imposées aux juris consultes Musulmans lesquels à leur tour ont fini par leur faire une place dans leur système. | |
(1) Dans l’exposition qui suit nous nous attachons à la forme adoptée par Mouradja d’Ohsson dans son ouvrage cité précédemment v. notamment Tome V p. 37 et s. | canonique, sous la forme de préceptes immanen[t]s de la doctrine islamique 1. Des étrangers en pays Musul(1) mans. L’étranger qui arrive en pays Musulman dans des inten- tions pacifiques, honnêtes et droites s’appelle musutéémin = homme qui a demandé et obtenu d’être mis en la sauvegarde de l’Etat Il ne doit plus être traité en harbi = hostis, mais tout au contraire jouir de la protection des lois pourvu qu’ il y entre avec la permission expresse du Souverain ou de ses lieutenan[t]s. Cette permission doit être donnée pour un temps limité , jamais pour une année entière ; et si à l’expira- tion de ce terme, l’étranger se trouve encore en pays Musulman il ne peut plus être considéré que comme sujet tributaire, c.à.d. comme un homme conquis non Musulman ; il est obligé, en conséquence de payer la capitation, et il n’a plus la liberté de quitter les contrées Musulmanes ; | |
L’étranger est placé sous la sauvegarde des lois Musulmanes, néanmoins sa qualité autorise des tempéramen[t]s en faveur du Musulman. Le plus considérable est celui con- cernant le meurtrier Mu- sulman. L’homicide vo- lontaire emporte la peine du talion. On ne fera exception dit la loi qu’en faveur de l’insensé du mineur et du vieillard imbécile. Mais il faut y comprendre le meurtrier d’un étranger mushéémine parce que les Etrangers en pays Musulman ne jouissent pas des droits civils au même degré que les sujets régni- coles ; mais si l’étranger est tué par un autre étranger , le meurtrier subira la peine capitale vu l’égalité de droits entre eux. | Il en est de même s’il fait acquisition d’une terre tributaire. La femme étrangère est soumise à la même loi lorsqu’elle se marie avec un sujet du Khalife. Mais l’étranger qui épouse une femme du pays, ne saurait être soumis à la même loi, il ne tombe pas ipso jure dans la catégorie des sujets tributaires, parce qu’il a non seulement la faculté de répudier sa femme, quand bon lui semble (conformément à la loi Musulmane bien entendu), mais encore de quitter le pays avant l’expiration du terme légal. La résidence d’un étranger en pays Musulman, quand même il se recon- naîtrait sujet tributaire, ne lui donne aucun droit en faveur de ce qu’il possède hors de l’Empire ; ainsi en temps de guerre, sa femme, ses enfan[t]s et toutes ses propriétés, en pays étranger sont soumis aux lois qui concernent les ennemis de l’Islamisme. | |