2091 - Le passé de la Bataille d’Anghiari
N. Lygeros
Pour comprendre véritablement le sens et la technique de la composition de Leonardo da Vinci intitulée La Bataille d’Anghiari, il est nécessaire de lire et d’étudier la première version du Trattato. Celle-ci date de 1490 alors que Leonardo da Vinci commence la composition en 1503 et l’abandonne en 1506. Beaucoup de temps pour mûrir. Beaucoup de temps pour réaliser le concept qui est pourtant d’une extrême précision. Car Leonardo da Vinci ne se contente de décrire, il explique les caractéristiques physiques du phénomène à illustrer. Voici cet exemple tout à fait significatif :
« Tu feras d’abord la fumée de l’artillerie, mêlée dans l’air avec la poussière soulevée par le mouvement des chevaux et des combattants ; et tu feras ce mélange comme suit : la poussière, bien qu’elle soit facilement soulevée à cause de sa finesse et dispersée dans l’air, tend cependant volontiers à retomber en bas ; c’est sa partie la plus fine qui monte le plus haut, d’où suit que son sommet est moins visible et paraîtra de couleur d’air. La fumée qui se mêle à l’air poussiéreux ressemblera mieux, à mesure qu’elle s’élève, à un nuage obscur, et dans les régions supérieures on verra plus distinctement la fumée que la poussière ; la poussière y sera légèrement bleuâtre, et la fumée tirera vers sa propre couleur. Ce mélange d’air, de fumée et de poussière sera plus clair du côté d’où vient la lumière que du côté opposé ; et à mesure que les combattants seront plus plongés dans ce tourbillon, on les distinguera moins, et il y aura moins de différence entre leurs parties éclairées et ombrées. »
En analysant les conseils de Leonardo da Vinci, il est difficile de ne pas les caractériser de scientifiques. Et il nous semble moins prétentieux de le qualifier de premier scientifique de la Renaissance que de simple continuateur d’une tradition ancestrale. Néanmoins ceci n’est pas notre propos. Cette fois nous voulons montrer que l’image statique du tableau présuppose une analyse dynamique poussée. Nous ne pouvons donc l’interpréter correctement sans ce contexte, pour ainsi dire, scientifique. Les conseils de Leonardo da Vinci sont manifestement le résultat synthétique d’observations minutieuses des phénomènes physiques. Les remarques sur la poussière qui pourraient paraître, au premier abord, relativement peu importantes sont tout à fait caractéristiques du style de la pensée de Leonardo da Vinci. Il met en évidence les détails qui mettront, à leur tour en exergue le réalisme de l’œuvre. Le pinceau et l’aspect manuel de la peinture sont nettement postérieurs à l’approche cognitive de la représentation de la bataille. C’est d’abord au sein d’un cadre mental que Leonardo da Vinci conçoit un modèle de la nature et c’est seulement ensuite qu’il le réalise. Le Trattato est l’outil par excellence du chercheur en études léonardiennes. Car Leonardo da Vinci est un peintre cérébral. Son œuvre est non seulement pensée dès le commencement mais elle est précédée d’une phase de réflexion qui permet de l’intégrer dans son univers mental. Aussi le tableau final n’est que le résultat final d’un processus qui a pu durer plusieurs années avant que la conception devienne réalisation.