1777 - La conscience de la pierre
N. Lygeros
Les gens abordent un monument comme nous abordons l’oubli. Sans savoir qu’il représente un lieu de résistance, une résistance laissée à elle seule, une résistance sans partisan. Et puis la construction d’un mémorial comme celui du génocide des Arméniens, sans nous rappeler au devoir, nous ramène sur la voie du sens. Via l’indicible, nous retrouvons l’intelligible. Faute de pouvoir l’évoquer, nous ressentons la nécessité de son existence. Il est mais ne vit que lorsque nous ne l’oublions pas. Tout cela est général certes et sans doute abscons pour certains. Néanmoins, le problème de la reconnaissance du génocide des Arméniens est tout à fait humain, peut-être même trop pour la société qui n’a que faire des tourments de l’esprit. Ainsi le mémorial lyonnais à travers son difficile accouchement, nous rappelle que c’est bien la rhétorique qui maîtrise le monde. Il faut beaucoup de morts pour ériger une vérité, une seule. Seulement celle-ci suffit à mettre en défaut l’arsenal de la propagande turque. Certes, même pour des Arméniens, ce combat semble non seulement inégal mais aussi vain que celui des moulins. Pourtant, à Lyon, il a suffi d’un Moulin, d’un seul pour mener à bien la résistance afin que l’honneur ait un sens malgré l’occupation. Le mémorial est d’autant plus nécessaire que l’Arménie demeure occupée malgré le silence de la diplomatie. Le peuple arménien a très tôt appris le sens de la diaspora et il sait combien il est vital de se souvenir pour des hommes à qui leurs terres sont interdites. Le mémorial à travers ses pierres brutes venues d’Arménie pour l’aider à soutenir le poids d’un génocide non encore reconnu, montre que son ontologie est la téléologie d’un peuple tout entier. Le mémorial ne sera pas seulement l’objet d’une commémoration. Il sera le paradigme de la conscience de la pierre. Car cette fois, les attaques qu’il a subies, ont transformé sa mémoire en conscience. Les manifestations et les manigances ne peuvent que renforcer la vision des combattants de la paix. Ils détiennent désormais la preuve que leur lutte n’est pas vaine. Chaque lyonnais pourra maintenant à travers cette conscience se rendre compte de la signification d’une lutte qu’il faut mener car l’oubli tente par tous les moyens d’étendre son pouvoir. Et notre unique moyen de résister, c’est le savoir. Le savoir permet la prise de conscience. Il ne sert à rien de ne pas oublier si nous ne luttons pas pour défendre nos droits. Sur la place de Lyon, nous connaissons tous la valeur de la culture et du patrimoine. C’est pour cela qu’il est d’autant plus urgent de comprendre que certains peuples n’ont le droit de vivre qu’à travers leurs monuments aux morts. Nous ne pouvons pas laisser les Arméniens lutter seuls contre l’oppression turque car nous ne pouvons pas ne pas saisir l’importance de cette cause. Le mémorial montre grâce à sa mémoire ce que l’horreur a fait lorsque nous ne faisions rien. Le mémorial montre grâce à sa conscience ce que l’hypocrisie est capable de faire si nous ne faisons rien. Mémoire et conscience renforcent l’âme des peuples qui ont souffert mais aussi des peuples qui souffrent encore aujourd’hui.