1462 - La souffrance arménienne
N. Lygeros
La souffrance arménienne n’est pas réduite à celle du génocide, elle est encore plus vaste. Elle s’étend sur l’histoire de ce peuple et ce, depuis la nuit des temps. Cet état qui fut tour à tour vassal des Mèdes et des Perses, fut incorporé dans l’empire d’Alexandre puis passa sous la domination des Séleucides. Antiochos III l’annexa, mais deux de ses généraux se partagèrent le territoire en le divisant en Grande Arménie et Petite Arménie. Ainsi l’Arménie connut sa première séparation avant d’en découvrir de bien plus douloureuses encore. Les déchirures qu’elle subit par la suite s’expliquent aussi par le fait qu’elle devint chrétienne avec Saint Grégoire dit l’Illuminateur comme premier évêque. Sa population à la suite des luttes sanglantes entre Byzantins et Turcs, dut s’enfuir en Crimée, en Galicie et en Cilicie où fut fondé le fameux État de la petite Arménie qui participa aux Croisades. Et dès le XVI ème siècle, les Turcs et les Perses se partagèrent le pays. Cette séparation forcée fut complétée par la suite par la Russie qui s’empara de la région d’Erevan. Coupé en trois morceaux, le peuple arménien subit de lourdes pertes en raison de sa vaillance. Il tenta de résister aux Turcs dès 1894-1896 mais en vain. La sauvagerie de ces derniers n’avait aucune borne. Et l’Arménie vécut par la suite l’une des pages les plus noires de son histoire, à savoir le Génocide avec plus de 1.500.000 victimes de la barbarie turque.
Certains d’entre nous pensent encore aujourd’hui que le nouvel État d’Arménie né après la chute de l’Union Soviétique, vit des jours paisibles. C’est oublier que la Turquie occupe toujours une partie de son territoire et son point culminant, le Mont Ararat. C’est oublier que la Turquie n’a toujours pas reconnu le génocide. C’est oublier que le traité de Sèvres de 1920 prévoyait une Arménie indépendante et qu’il n’a jamais été appliqué. C’est oublier que le traité de Kars de 1930 a bafoué tous ses droits. C’est oublier que grâce à la Turquie, le peuple arménien est un peuple de la diaspora qui n’a pas encore pu faire son deuil. Ces oublis blessent la mémoire et pas seulement celle du peuple arménien mais aussi celle de la pensée européenne. Car la souffrance arménienne est universelle. Aussi nous ne pouvons nous contenter d’agir diplomatiquement envers la candidature orientale. Nos points communs avec la culture arménienne ne se limitent pas à un problème d’ordre religieux. Le peuple arménien est un peuple indo-européen. Et nous ne pouvons le laisser à la merci d’une Turquie qui se prétend à la fois laïque et musulmane en fonction du contexte diplomatique. La reconnaissance du génocide des Arméniens doit être un préalable à toute forme de négociations. Et ces négociations doivent comporter des points essentiels comme la libération des territoires occupés et la restitution des propriétés arméniennes, ainsi que le remboursement pour non jouissance de droits. Tout cela est possible, les recours chypriotes à la Cour Européenne des Droits de l’Homme le prouvent. La haine, la torture, le viol, le génocide doivent avoir un coût pour les bourreaux, sinon ils ne changeront jamais et ils recommenceront leur infâme travail.