13552 - Sur la stratégie nucléaire de Coutau-Bégarie. (avec P. Gazzano)
P. Gazzano, N. Lygeros
La bombe atomique n’est pas une arme comme les autres : elle transforme l’idéal type clausewitzien de la guerre absolue en menace concrète d’anéantissement.
La capacité de la bombe atomique à détruire directement une partie de l’Humanité ou même l’Humanité tout en entière, nous oblige à la traiter de manière indépendante car elle n’est comparable en rien par rapport aux autres armes. En ce sens, elle a provoqué un changement de phase pour l’Humanité car elle est consciente de la possibilité du suicide.
Employée massivement, la bombe peut signifier la destruction de l’humanité ou du moins la régression de la civilisation. Ce changement d’échelle entraîne un changement de nature. Le problème de la bombe se pose donc autant en termes philosophiques que stratégique. Il faut penser l’impensable, concevoir une métastratégie.
Cette métastratégie devient une nécessité primordiale dans ce cas et elle appuie la consistance de la réflexion sur la stratégie puisqu’il s’agit d’un transport de structure par rapport à la pensée.
L’apparition de l’arme nucléaire a entraîné une fragmentation de la stratégie. Celle-ci se décompose en deux volets : la stratégie d’action et la stratégie de dissuasion.
En réalité, c’est la stratégie de dissuasion qui travaille nécessairement dans le virtuel, qui est devenue une réalité.
La stratégie d’action est celle qui a toujours existé dans l’histoire : le but, positif est d’agir pour contraindre l’ennemi par l’utilisation de la force. Elle est inséparable de la prise de risque.
Elle préexiste à la dissuasion car elle est plus élémentaire mais cela ne signifie pas que la dissuasion n’existait pas en temps que concept au sein des stratégies exploitées dans le passé.
La stratégie de dissuasion poursuit un but négatif : convaincre l’ennemi de ne pas agir. Elle n’a pas pour but de gagner la guerre, mais de l’empêcher.
Cette manière de procéder met en exergue le schéma mental qui consiste à gagner sans avoir à entrer en conflit.
La stratégie nucléaire pourrait éventuellement rechercher un but positif, mais ce cas d’école n’a pas encore trouvé d’utilisation.
Ici, nous parlons tout de même d’une possibilité que nous devons retenir pour le futur, sans oublier l’apport qu’elle permet dors et déjà à Israël.
La stratégie de dissuasion découle du constat de la caducité de la liaison clausewitzienne entre la guerre et la politique : avec l’arme nucléaire, le risque est toujours plus grand que l’enjeu.
Cette différence est si fondamentale qu’elle opère comme un modérateur dans le cadre d’un conflit conventionnel.
Les vecteurs autorisent une frappe presque instantanée : la surprise rend impossible l’accoutumance progressive et engendre la terreur, encore accrue par les effets persistants.
La frappe instantanée remet en cause la notion de préparation classique du conflit.
La puissance terrifiante de l’arme rend illusoire la notion même de rapport de forces : la dissuasion fonctionne du faible au fort.
Cette asymétrie est nécessaire pour donner une porte de sortie au plus faible dans une situation où il n’y a pas la notion de rapport de force.
La dialectique attaque/défense est niée, puisqu’une défense hermétique qui serait la seule efficace est difficilement concevable.
La dissuasion nucléaire ne se base pas sur le dialogue dialectique direct mais exploite une pensée latérale pour créer une ouverture là où naturellement la plupart des spécialistes classiques ne voient qu’une impasse.
L’effet dissuasif qui résulte des caractéristiques de l’arme nucléaire a été théorisé sous l’appellation de dissuasion existentielle ou de dissuasion par constat.
Il s’agit donc de la mise en place d’une stratégie de type de facto et non de jure.
Mais il est renforcé par une doctrine qui rend la menace encore plus crédible : c’est le rôle des stratégies déclaratoires.
Ici nous avons l’apparition d’un paradoxe puisque la stratégie fonctionne habituellement dans le domaine de l’invisible.
La volonté de ne pas utiliser l’arme nucléaire sur un plan militaire n’interdit pas de chercher à en tirer un avantage politique : l’arme nucléaire est à la fois moyen et symbole. Sa possession entraîne des effets immédiats sur le statut de son détenteur.
Ainsi, elle permet de faire un pont entre le militaire et le politique même si ces derniers sont a priori indépendants dans son cadre de réflexion.