7309 - Des mouvements tactiques aux conséquences stratégiques
N. Lygeros
La recrudescence des épisodes à la frontière entre l’Artsakh et l’Azerbaïdjan n’est pas seulement un évènement local. L’interpréter comme tel serait une erreur d’ordre stratégique. Car ces évènements que nous le voulions ou non, appartiennent à une volonté d’imposer une stratégie de facto qui exploite les frictions du problème frontalier. Les tirs dans la buffer zone, ne sont pas seulement des exercices pour tester le répondant arménien. Il s’agit certainement de mouvements tactiques mais dont les conséquences sont stratégiques. Il est clair que nous avons une application de la théorie des phénomènes locaux qui provoquent des répercussions globales. Les Azéris n’osant pas un affrontement direct et frontal, adoptent une stratégie d’attaque latérale qui consiste à exploiter la situation engendrée par une paix sans nom. De cette manière, nous nous retrouvons dans la queue d’un conflit sans permettre une réaction officielle qui engendrerait la cessation du cessez-le-feu. L’Artsakh se trouvant dans l’impossibilité diplomatique de déclarer ouvertement une guerre dans la zone d’Agdam, se retrouve enclavé dans un processus de mise en place d’une paix qui n’en finit pas. Aussi, nous nous retrouvons dans une situation polémologique étrange où les parties en jeu, sont des joueurs de la guerre dans la paix.
Les Azéris exploitent le fait que nous désirons un statu quo, car ils n’arrivent pas à obtenir un statu quo ante. Ainsi ils parviennent à remettre en cause le processus de paix tout en évitant une guerre ouverte. De cette façon, ils agissent subrepticement contre la volonté arménienne qui s’appuie désormais sur l’existence d’une constitution et l’élection au suffrage universel du président de l’Artsakh. Comme la paix a tendance à stabiliser la situation au profit des Arméniens en transformant par étapes un état de facto en un état de jure, les Azéris tentent par tous les moyens de créer des frictions dans cette paix. Il est, de plus, clair que ces frictions, sans nécessairement remettre en cause l’ensemble de tout le processus, permettent une reconfiguration des frontières. Ainsi les experts qui estiment que la recrudescence des tirs ne peut en aucun cas remettre en cause la paix, commettent une erreur sur le choix de la cible choisie par les Azéris. Dans le cadre des négociations en cours, nous ne parlons plus de l’ensemble du territoire de l’Artsakh, mais seulement de certaines de ses parties. Aussi la mise en exergue de problème d’ordre militaire renforce les positions azéries dans les négociations.
Sur le plan militaire, cette différence est de taille. Car la reconfiguration locale des frontières, en particulier dans la région d’Agdam, permettrait dans un second temps, un accès direct à la capitale de l’Artsakh. Dans ce cas, il est certain que les décisions ultérieures de Stepanakert seraient affectées et, en tout cas, pas de même ordre que dans la situation actuelle. En d’autres termes, cela offre la possibilité aux Azéris, d’obtenir un changement fondamental du statu quo et même s’il ne correspond pas à la situation exacte avant le début du conflit, change radicalement les données avec un gain pour la partie azérie. Il ne faut donc pas nous restreindre à une seule et unique cible de la part des Azéris, mais à une étape intermédiaire qui donne essentiellement les mêmes gains à longue échéance sur le plan stratégique, sans pour autant modifier officiellement la position de l’Azerbaïdjan. Cette stratégie plus subversive est plus efficace qu’un affrontement direct car elle utilise de plus, tous les moyens de propagande. Il est donc nécessaire de prendre des contre mesures sans tarder.