6637 - Remarque sur une question d’ordre technique de Vincent
N. Lygeros
L’examen superficiel de l’œuvre de Vincent van Gogh ne nous incite pas à penser qu’il s’interrogeait sur des questions d’ordre technique en ce qui concerne la peinture. Pourtant sa correspondance avec son frère est truffée de ce genre de problèmes et pas seulement de considérations artistiques et philosophiques extrêmement originales par ailleurs. Cela concerne aussi bien des détails qui nous indiquent néanmoins qu’il utilisait déjà des tubes de peinture comme par exemple le suivant :
« Tu as bien fait de dire à Tasset qu’il faut qu’il nous donne quelques tubes de couleurs pour les 15 francs de port de deux envois non affranchis ».
Ou encore sur la qualité de la toile…
« La toile ordinaire à Tasset qui était à 50 centimes plus chère que celle de Bourgeois me plait beaucoup et est très bien préparée. »
Cependant dans cette note, nous voulons nous attarder sur un questionnement de Vincent beaucoup plus technique qui concerne la peinture elle-même en tant que matière.
« Voudrais-tu demander à Tasset son opinion sur la question suivante. À moi il me semble que plus une couleur est broyée fine, plus aussi elle est saturée d’huile. Or nous n’aimons pas énormément l’huile, cela va sans dire. »
Voila donc l’objet de la question. Certains lecteurs penseront sans doute qu’il s’agit d’une problématique d’ordre général mais la suite de la lettre de Vincent van Gogh les détrompera sur le champ.
« Si on peignait comme Monsieur Gérôme et les autres trompe-l’œil photographiques, nous demanderions sans doute des couleurs broyées très fines. »
Cette remarque permet non seulement de mentionner la comparaison avec la photographie mais aussi de partager un point de vue sur les peintres. Car pour Vincent, il ne s’agit pas d’imiter tel un esclave l’objet à peindre. En d’autres termes, son problème est essentiel pour lui.
« Au contraire, nous ne détestons pas que la toile ait un aspect fruste. Si donc au lieu de faire broyer sur la pierre pendant Dieu sait combien d’heures la couleur, on la broyait juste le temps qu’il faut pour la rendre maniable, sans trop s’occuper de la finesse du grain, on aurait des couleurs plus fraîches, peut-être noircissant moins. »
Vincent s’intéresse donc, non seulement à la texture de la peinture mais aussi à sa capacité à durer dans le temps sans perdre son éclat. Cependant il va plus loin dans le détail puisqu’il propose un protocole à suivre.
« S’il veut en faire un essai avec les trois chromes, le véronèse, le vermillon, la mine orangé, le cobalt, l’outremer, je suis presque sûr qu’à bien moins de frais j’aurais des couleurs et plus fraîches et plus durables. Alors à quel prix ? Je suis sûr que cela doit pouvoir se faire. Probablement pour les garances, l’émeraude, qui sont transparentes, aussi. »
Cet ensemble de précisions, montre les préoccupations techniques et pratiques de Vincent van Gogh qui ne sont pas exclues de son œuvre artistique. Voilà le cadre naturel de son travail dans son essence même à savoir la nature de la peinture.