6249 - Transcription de la lettre 21 de Paul Faure. (02/02/1995)

N. Lygeros

 P. Faure                                                                                       στις Κάννες, τη 2 Φεβρ.
                                                                                                                                   1995
   Merci, mon cher Nik, pour l’intéressant
article que vous m’avez dédié, destiné et dédicacé
dans le prochain n° de Connaissance Hellénique
Ο ΛΥΧΝΟΣ, pour ces quinze pages soigneusement
photocopiées « Sur les connaissances scientifiques dans
ΕΡΟΤΟΚΡΙΤΟΣ ». Vos lecteurs y apprendront comme
moi, entre autres vérités, non seulement que Vincenzo
Cornaros était un érudit de la Renaissance vénitienne
et que son héros c’était lui-même (« Mme Bovary, c’est moi »,
écrivait Flaubert en 1857, comme je dis : Ulysse le Crétois,
c’est un peu moi entre 1953 et 1983 !), mais aussi
que l’homme, pour être digne de ce nom et digne
de laisser un nom, doit nécessairement passer par
des épreuves et faire comme les enfants que conduisait
Thésée : vaincre sa peur du Minotaure au fond du
labyrinthe.  Καλός κίνδυνος η ζωή, και προσθέτω: ο
έρως . L’ « honnête homme » de l’époque de V. Cornaro,
de Montaigne à Pascal, est essentiellement un être
cultivé. Sa culture présente les trois formes du savoir :
« savoir apprendre, savoir faire, savoir vivre ». Bref,
il sait tout, sans en faire état.
   Vous attendez, en esprit libre que vous êtes, quelques
réserves ou critiques de ma part à votre soigneuse et
méthodique analyse de l’ Ερωτόκριτος. Eh bien, je

ne pense pas que les quelques vers consacrés
à l’action de la digestion sur la conscience ou l’incons-
cience, au climat, aux astres du ciel, aux palpitations
d’un cœur ému, aient le moindre caractère scientifique
au temps de V. Cornaro : il n’y a là que des images
poétiques banales, familières à tout lecteur des
auteurs grecs antiques et à leurs *incitateurs latins
comme Lucrèce ou Sénèque. L’érudition de Cornaro,
seigneur de l’illustre famille des Cornelii de  Θραψανό
et membre de l’Académie des Stravaganti avait, à la fin
du XVIe siècle, mille moyens de lire les auteurs littéraires
et scientifiques, que l’on imprimait à Venise et à Florence
depuis 150 ans, mais il ne pouvait connaître ni exploiter
les ouvrages de W. Harvey (┼ en 1657), de Képler, de Descartes,
de Pascal, parus après son temps. Et il n’est pas mort
en « 1677 », comme l’écrit l’auteur du Petit Robert (v. votre
note 1, p.63) mais au moins 50 ans plus tôt, comme le
montre l’arbre généalogique dressé par le regretté
Stergios Spanokis dans les Κρητικά Χρονικά vers 1950.
Dois-je faire à mon tour ma révolution copernicienne
en soutenant que Vincenzo Cornaro n’était ni Crétois ni Grec
orthodoxe, mais un catholiquer romain, descendant
des Scipions (M. Cornelius Scipio Aemilianus, par ex.)
qui soumirent la Grèce et la Macédoine au début du
IIe s. avt J. – C. ? A demi-crétois moi-même, je sais bien
que je ne suis qu’à demi-menteur, mais votre tout
dévoué et reconnaissant
Παύλος Φοράκης
PF