Oreste et Electre La guerre de Troie et la malédiction des Atrides

Ν. Λυγερός

Prologue

Nikos Lygeros

Voix : A. – M. Bras, M. Martinez

Entrée du Choeur, mouvements globaux, personnages drapés de noir.

Le Coryphée

        Par où commencer ? Comment raconter l’indicible malheur qui s’est abattu sur la maison des Atrides. Et qui d’entre vous a assez souffert pour comprendre ce récit ? Un temps.

Seuls les devins ont pu le prévoir : Calchas a su voir le danger, Tirésias l’a compris, Cassandre l’a vécu et l’a vu se réaliser. Le présage* des aigles était pourtant clair mais nul autre que Calchas n’avait les yeux de la sagesse. Tous n’étaient que Colère et Vengeance. Voilà pourquoi eut lieu le sacrifice monstrueux. Les dieux avaient décidé de faire souffrir la race des Atrides plus que tout autre. Un temps.

Ainsi les grecs naviguèrent sur le sang de la pauvre Iphigénie*. Et luttèrent dix ans durant à perdre les plus valeureux de leurs hommes. La guerre, les batailles, les combats et les duels tous menaient au bûcher de la délivrance. Ce feu qui libère le corps de toutes ses souffrances et qui le purifie afin que sa poussière se repose enfin dans la terre. Un temps.

Dix ans de luttes et de peines offerts à la gloire. Cependant l’étoffe des héros est trop lourde à porter pour le vivant, seul le mort est capable de réussir cette prouesse et il lui faut l’éternité. Silence.

Mouvement du Choeur.

Le savoir a beau être une forme abstraite de pouvoir, même l’omniscience ne réussit à transformer la réalité que par petites touches. Elles sont tout d’abord imperceptibles mais avec le temps elles prennent de l’importance. Et les dieux sont passés maîtres dans cet art. Ainsi chaque action, chaque acte de la guerre de Troie aura eu et aura des conséquences sur l’ensemble des hommes qui habitent la terre des dieux que certains nomment la Grèce. Un sacrifice sera suivi d’une vengeance, un sacrilège d’une condamnation, un crime d’un châtiment. Un temps.

Les devins auront beau le dire, ils n’y changeront rien, les hommes n’écoutent que ce qu’ils veulent entendre. Ces derniers, plus ils sont grands, plus ils se croient à l’abri du destin. Mais ils paient très cher cette funeste vanité car le destin les frappe avec d’autant plus de violence. Et bien souvent ce coup leur est fatal. Silence.

Mouvement du Choeur.

Agamemnon, le roi de Mycènes riche en or*, était de ceux-là. Sa gloire lui fit oublier la malédiction des Pélopides. Et même le monstrueux sacrifice de sa fille, exigée par la sournoise Artémis, qui lui arracha une partie de sa propre chair ne fut suffisant pour le prévenir de la vengeance qui planait sur lui. La colère d’Achille passée, la mort de son fidèle ami Patrocle, suivie de celle du plus valeureux de nos ennemis Hector ainsi que celle d’Achille lui-même le plus lumineux de nos guerriers n’eurent pour conséquence que d’augmenter sa gloire. Et après la réussite de l’ingénieux Ulysse et la chute de l’imprenable Troie, le roi des rois se prit pour un géant sans réaliser que sa grandeur ne provenait que du fil avec lequel le destin le tenait suspendu. Aussi il retourna sur ses terres se croyant à l’abri de tout danger. Silence.

Mouvement du Choeur.

C’est donc ici que s’écrivit une des pages les plus sombres de la famille des Atrides. C’est ici qu’eut lieu le plus horrible des crimes. Agamemnon aurait dû se méfier. Mais il est vrai qu’ayant survécu à une guerre de dix ans comment aurait-il pu imaginer que le plus grand des dangers pour lui se trouvait au sein de sa maison, dans son propre lit. Un temps.

Sa femme Clytemnestre avait pris pour amant Egisthe, le fils de Thyeste et cousin d’Agamemnon lui-même. Mais l’adultère ne lui avait pas suffi pour se venger. Elle prépara un plan pour assassiner le roi, son mari et protecteur. Elle lui conseilla de faire annoncer son arrivée par de puissantes torches placées sur les sommets des îles qui le séparaient de sa patrie. Ainsi le siège de Troie fini, la ville mise à sac, elle apprit par les feux la venue d’Agamemnon. A peine arrivé dans sa patrie, accompagné de la pauvre Cassandre, elle le persuada d’emprunter un chemin de pourpre pour rentrer au Palais. Bien que cela soit réservé aux statues de divinités, le roi se laissa convaincre pensant faire preuve d’humilité le malheureux. La perfide femme qui avait tissé sa toile d’araignée commença à la resserrer sur lui tel un filet du sort. Silence.

Mouvement du Choeur.

Elle l’entraina donc et lui fit prendre son bain. Et là, aidé de son infâme amant, l’entoura d’un voile pour l’immobiliser. Ensuite, sans qu’il puisse se défendre, la double hache de la revanche s’abattit par trois fois sur son corps gémissant. Cependant l’infamie et la perfidie non contentes du succès de leur complicité se mirent à lui découper ses membres alors qu’il agonisait encore. Cet horrible cauchemar ne se termina que lorsqu’il fut vidé de tout son sang. Un temps.

Noyé dans son propre sang, ses membres épars, il cracha alors son âme dans un dernier soupir. Celle-ci démembrée, ne pouvant se venger, s’enfuit sur le champ. Un temps.

Grâce à ce crime monstrueux, le couple sanguinaire s’empara du trône de Mycènes. Heureusement dans sa sagesse Electre parvint à faire échapper en Phocide le jeune Oreste avec son pédagogue. Depuis, la tyrannie écrase du pied notre patrie et Electre, en esclave du Palais, endure les pires tortures. Désormais notre unique espoir porte un nom : Oreste !

Le Coryphée s’agenouille lentement comme pour se prosterner et le Choeur l’accompagne dans ce geste.

Danse du Choeur : Prière.

Noir.