A propos de Yannis Ritsos de Linos Politis

Ν. Λυγερός

Extrait de :
Histoire de la littérature néohellénique

Traduit par N. Lygeros

Avec Yannis Ritsos (né en 1909 à Monemvassia) nous passons à un poète doté d’une voix poétique plus limpide et étendue à une plus grande échelle. Ses premiers recueils (“Tracteur” 1934, “Pyramides” 1935) n’échappent pas bien sur au “Kariotacisme” de l’époque mais ils se différencient par leur précision dans l’expression et leur contenu révolutionnaire. “L’Epitaphe” (1936) – les lamentations d’une mère dont l’enfant a été tué au cours d’une manifestation d’ouvriers de tabac en grève – atteint des tons plus profonds mais va toujours dans le même sens. Avec son grand poème “Chanson de la soeur” (1937) nous constatons, comme chez Vrettakos, un changement dans la forme mais aussi dans la disposition psychique, qui est due à l’influence de l’art poétique nouveau. De là suivront jusqu’en 1945 des recueils de poèmes qui affirmeront sa physionomie poétique. Ritsos se mêle activement à l’action politique durant les années d’occupation et de la guerre civile qui a suivi ; de 1948 à 1952 il se trouve en exil dans différentes îles et après son retour il publie une pléthore de recueils, dans lesquels sont consignées toutes ces dures expériences. En 1961 il rassemble dans deux tomes volumineux (“Poèmes”) toute sa production d’alors mais il continue à publier d’autres recueils ; les “Poèmes” seront complétés par un troisième tome en 1964, et un quatrième en 1975. Parallèlement il publie d’autres recueils isolés. Durant les années de la dictature il connait de nouveau les camps de concentration et ensuite l’isolement à Samos. Ses poèmes ont été traduits, en plus des pays de l’Est, dans de nombreux pays de l’Europe occidentale et d’Amérique. Ils ont été récompensés par de nombreux prix internationaux, comme le Prix International de poésie en Belgique (1972) et le prix Lénine (1977).

Ritsos est un poète pléthorique dans sa production et indubitablement doté d’un sentiment originel et de vertus vraiment poétiques. Ses poèmes sont longs, parcourus continûment par un souffle inattendu et incontrôlable. Son inspiration, il la tire essentiellement du monde magique de l’enfance et de l’adolescence, les images jaillissent riches et fraîches, son mot a du poids et de la valeur, mais en même temps de la magnificence et de la palpitation. Mais le large courant de sa parole lyrique, qui est la principale caractéristique et la principale vertu de sa poésie, constitue en même temps son point faible : il prend souvent une largesse disproportionnée, mélange le nécessaire avec le superflu, se répète et parfois ne peut éviter la rhétorique. Il lui manque aussi la capacité de synthèse : ses longs poèmes n’ont pas de cohésion interne, mais additionnent en ordre les impressions et les images. Elles sont pourtant, et pas rarement, des plus subtiles et fraîches de la nouvelle poésie. Ces dernières années, sans abandonner les longs poèmes synthétiques, Ritsos semble préférer les poèmes courts et denses. A ce propos le recueil “En papier” (1974) est caractéristique par ses petits poèmes des années 1970 – 1974 ou encore “Dix-huit chansons de la patrie amère” (1973) écrites (presque toutes) en un seul jour au camp de Léros et mises en musique par Mikis Théodorakis.

La poésie de Ritsos touche bien sur aussi la problématique de l’homme contemporain, de l’individuel et du social. Quelques fois il veut servir de manière plus directe (i.e. moins poétique) son idéologie sociale ; ce ne sont pas là ses poèmes les plus réussis. D’autres fois la lutte sociale peut peut-être exister comme objectif (quelques fois elle est découverte par la disposition hypercritique de ses exégètes) mais c’est le point le moins intéressant du poème. Aragon (qui a parlé de Ritsos en termes exagérément flatteurs) lorsqu’on lui a expliqué que “La Sonate du clair de lune” (1956) “exprime l’impasse tragique dans laquelle est tombé l’individualisme et la société urbaine dans son ensemble” a discrètement mis à l’écart cette interprétation et s’est attaché avec compréhension uniquement aux éléments purement lyriques du poème.