5862 - Sur la stratégie du temps

N. Lygeros

En étudiant les génocides à travers le monde, il n’est pas difficile de constater qu’une civilisation devient une cible à travers le contrôle de l’espace. Ce dernier est obtenu grâce à la célérité du déplacement d’une structure organisée et/ou militaire à travers un paysage humain incapable de résister à une attaque aussi massive. Ce constat est d’autant plus général que les victimes sont coupables en raison de leur naissance et non de leur action. Le peuple visé est dépourvu d’une cellule de crise capable de gérer cet état d’urgence. Pourtant la connaissance de la vision stratégique de Clausewitz permet de sortir de ce piège conceptuel. En effet, étant donné que la guerre a un caractère caméléonien, il n’est pas naturel de considérer que la paix représente un état naturel. Sur le plan stratégique, la polémologie est limpide. La paix est un équilibre instable tandis que la guerre est un déséquilibre stable. En termes de système dynamique, la guerre est un attracteur et la crise son bassin d’attraction.

Dans le cadre des génocides, l’attaque est toujours sociale. Elle provient de la société car elle seule est capable d’agir de manière aussi massive dans l’espace. La synchronisation même des mouvements n’est qu’une preuve de plus de ce truisme. Cependant le crime s’effectue bien à l’encontre de l’humanité. Cette remarque est une conséquence de l’aspect naturel de la guerre dans un cadre diachronique car c’est bien l’humanité qui résiste contre le crime. En entrant dans la conception stratégique de la guerre, quelques unités de cette humanité, constituent les premiers points d’accumulation d’une structure robuste dans le temps mais pas dans l’espace. Cette structure est capable de supporter l’œuvre de la civilisation mais non la civilisation elle-même. Si elle y parvient par la suite, ce n’est que grâce à la stratégie du temps. Elle agit donc uniquement en phase de contre-attaque. Au moment de la défense, nous observons une dilatation temporelle. Le contrôle massif de l’espace n’efface pas seulement l’humanité mais aussi le temps. La stratégie du temps n’opère qu’après l’impact si la structure résiduelle de la civilisation a résisté. Si c’est le cas alors nous entrons peu à peu dans le processus de réparation qui représente la guerre de la mémoire contre l’oubli. Dans ce nouveau cadre, il est encore plus naturel d’interpréter la guerre comme un état naturel de l’humanité. En effet, l’humanité et le temps s’opposent face à la société et l’oubli. Car la paix est un état pacifié de force par la société dans le but d’effacer la différence entre le passé et le futur, et de réaliser l’immortalité du présent afin de consolider le contrôle absolu de l’espace. La stratégie du temps est l’unique moyen de lutter contre ce dogme stratégique.